Sous un ciel “maculé” de gros nuages menaçants et au milieu d'habitations emmêlées comme des feuilles d'automne, le stade de l'Unité maghrébine de Béjaïa grouille de monde en cet après-midi de football à l'occasion du grand derby kabyle JSMB-JSK. Ironie du sort, les résultats catastrophiques du club béjaoui, en ce début de championnat laborieux, n'ont pas découragé les fans à venir en masse pour donner un coup de main à leur équipe fétiche, alors que du côté de la JSK, la dernière performance éclatante contre le WAT n'a visiblement pas convaincu tout le monde. Ils seront, en effet, seulement 200 à 300 supporters de la JSK à faire le déplacement au stade, réputé pourtant pour être l'un des bastions kabyles. Une poignée du reste si l'on en juge par cette marée humaine béjaouie qui prendra d'assaut l'enceinte sportive. Privés de leur citadelle depuis le début du championnat, pour cause de réfection de la pelouse, et exilés du côté de Bouira où ils n'ont récolté que des déboires, les Béjaouis retrouvent leurs terres pour une véritable rédemption. Une motivation supplémentaire, mais néanmoins secondaire devant le fait d'affronter le rival kabyle, ce qui constitue en soi — il faut le dire — une source intarissable de force. Du coup, la bataille dans les tribunes devient inéluctablement inégale. Une partie de plaisir même pour les locaux ravis d'une telle aubaine. Au fil des minutes qui s'égrenaient, les cris des Béjaouis se font de plus acerbes. Les quolibets cèdent rapidement la place aux “viva JSMB”. Principale cible de la bêtise humaine, le président de la JSK, Mohand-Cherif Hannachi, qui sera traité de tous les noms d'oiseau au moment où il rejoindra le banc des remplaçants. Hannachi : “Jamais je n'aurais pensé être insulté un jour en Kabylie” Tel un leitmotiv, repris en cœur par des gladiateurs en mal d'adrénaline, les supporters de la JSMB se déchaînent carrément sur le boss kabyle. Mais Hannachi, en homme averti, restera imperturbable. Pas question de répondre à la provocation. Il n'esquissera pas le moindre geste pour exprimer sa réprobation, même pas quand cet homme digne et humble sera touché dans sa chair. Eh oui ! Vous avez bien lu ! Des voyous — le mot n'est pas assez fort — ont osé insulter la famille de Hannachi en pleine Kabylie. Qui l'eut cru ! Tout cela se passe sous les yeux d'un service d'ordre plutôt amusé. La tête baissée, le regard grave, Hannachi gardera le silence jusqu'à la fin du match avant de se lâcher devant les journalistes. Touché dans son amour-propre, Hannachi avoue qu'il ne s'attendait pas à être conspué chez lui en Kabylie. “Je conçois bien que l'on m'insulte partout en Algérie, mais pas ici en Kabylie. Je suis chez moi, non ? Aujourd'hui, je suis un homme blessé, je ne reconnais pas les miens, ces gens-là que je n'ose pas qualifier ont insulté ma mère, c'est grave. Leur ai-je fait quelque chose de mal. Ai-je déjà critiqué la JSMB ? Depuis son accession en première division, je n'ai eu que de bons rapports avec mes amis de la JSMB, mais voilà comment on accueille la JSK en terre kabyle. C'est tout simplement inimaginable”, dit-il à la fin de la rencontre sur un ton amer. Et d'ajouter : “Croyez-moi, ces gens-là me poussent à les haïr ! Je ne comprends pas cette haine car je suis un homme qui n'a jamais fait de mal à la JSMB. Je ne vous cache pas que je suis fatigué de cette situation. Je me trouve toujours confronté à pareille situation lorsque j'accompagne l'équipe à Béjaïa. Pourquoi tant de méchanceté ? Je ne sais pas. Une chose est sûre, le président de la JSMB ou bien les dirigeants de ce club ami n'auront pas le même traitement que j'ai eu à Béjaïa de la part de ses supporters bien sûr.” Accostés à la fin de la rencontre, quelques dirigeants de la JSMB se démarquent de tels comportements et invitent Hannachi à ne pas confondre l'ensemble des supporters de la JSMB avec une “poignée malfaisante”. Même le coach Djamel Menad, héros du jour et porté aux nues par les supporters, n'a pas apprécié cet état de fait et appelle les supporters à plus de retenue. “C'est une compétition sportive qui ne doit pas dépasser ce cadre. Je suis contre le fait qu'on insulte quelqu'un”, nous confie-t-il. Seconde cible des supporters béjaouis, l'attaquant Yahia Cherif, affublé du sobriquet peu glorieux de “Cristina” tout au long de la partie afin de tenter de le déstabiliser. Un “diminutif” en fait de la star portugaise du Real, Cristiano Ronaldo, auquel Yahia Cherif est souvent comparé par la presse. Nous ne savons pas s'ils ont réussi à le faire, mais à l'image de l'équipe de la JSK, l'ex-Koubéen s'est fait plutôt discret dans le match. Cependant, dans les vestiaires, Yahia Cherif commentera les attaques de la galerie béjaouie avec beaucoup de diplomatie. “Oh, vous savez, je ne m'en fais pas pour ça, je suis habitué maintenant à l'adversité dans les tribunes. Ce n'est pas cela qui peut me déstabiliser, croyez-moi”, nous dit-il à la fin du match. Menad : “Non, je ne suis pas un héros” Au milieu de cette méchanceté gratuite, le nouveau coach de la JSMB, Djamel Menad, est le seul à trouver grâce aux yeux des Béjaouis. Arrivé la semaine précédente à la tête de la barre technique de la JSMB pour succéder au Français Jean-Yves Chay, limogé pour insuffisance de résultats, Menad est perçu comme le sauveur. Le messie. Une longue standing ovation lui sera réservée à la fin du match. Tout le monde debout pour applaudir l'homme fort du jour, celui par qui la première victoire de la saison arrive enfin. Et devant la JSK, s'il vous plaît ! Mais Menad, lui, refuse de parler d'“homme providentiel”. “Non, je ne suis pas un héros, je suis juste un homme qui a de la passion pour son travail. Le mérite revient aux joueurs qui ont cherché cette victoire au fond de leurs tripes. Mais, ce succès, fusse-t-il contre la JSK, doit servir de rampe de lancement, car un grand travail nous attend. Il faudra s'arracher pour remettre la JSMB à sa véritable place”, souligne-t-il. “L'accueil du public m'a vraiment touché, c'est la preuve que je n'ai gardé que des amis ici à Béjaïa et c'est d'ailleurs pour ça que je suis revenu dès qu'on a sollicité mes services. C'est un peu l'appel du cœur”, ajoute celui qui a refusé de driver la JSK en début de saison. Menad ne sera pas lâché d'ailleurs d'une semelle à la sortie du stade, il sera assailli par les demandes d'autographes et de photos-souvenirs auxquelles il s'y prêtera volontiers. “C'est l'homme qu'il faut pour faire redémarrer la machine béjaouie, il connaît bien la maison et adore son travail. Avec lui, il n'y a pas de place pour la triche”, dit un supporter qui parle d'un déclic salutaire. “Pour relancer la machine, il n'y a pas mieux qu'une victoire contre la JSK. C'est bon pour le moral”, ajoute-t-il. Peu à peu, le stade se vide, la délégation de la JSK reprend le chemin inverse vers Tizi Ouzou, le moral un peu touché par une défaite que l'équipe aurait pu éviter au vu de la fin de la partie. Certains joueurs parlent de malchance devant les buts, d'autres accusent l'arbitre d'avoir facilité la tâche à la JSMB. Le capitaine Meftah, d'habitude réservé, se lâche devant ses coéquipiers dans le véhicule qui les transportait. “On ne peut pas gagner avec un arbitrage pareil, c'est cousu de fil blanc”, dit-il en coulisses. Amertume. À l'opposé, les joueurs de la JSMB savourent ce moment. Ils parlent de déclic eux aussi. Extase ! Quant aux supporters des deux camps, ils se dispersent dans le calme. Fair-play. S. L.