Enfant terrible du séminaire d'Oran, prêtre étonnant pour sa liberté d'esprit et de ton, combattant courageux lors de la Seconde Guerre mondiale, le père Alfred Bérenguer prit dès 1955, sans aucune prudence ecclésiastique, fait et cause pour l'indépendance de l'Algérie. Il participa à la création du Croissant-Rouge algérien, rallia à la cause de nombreux pays de l'Amérique latine, ce qui lui valut quelques démêlés avec les services secrets français et l'amitié de Fidel Castro et Che Guevara. Au moment de l'Indépendance, il participa à l'Assemblée constituante algérienne tout en conservant ses distances vis-à-vis de la politique menée. Il dénonça d'ailleurs, face à Boumediène, les germes dictatoriaux de l'Etat naissant. Il reprit alors modestement sa place de curé d'une des paroisses d'Oran en déclinant systématiquement toute offre de collaboration avec l'Etat algérien. Le père Bérenguer eut une vie exaltante et exemplaire marquée par son attachement indéfectible à la justice et à la liberté. Je n'ai connu le père Bérenguer que pendant les dix dernières années de sa vie. J'eus avec lui des dizaines d'heures de discussion passionnées sur l'histoire et l'Algérie. Il accepta modestement de prendre la vice-présidence de l'Association pour la préservation des sites et monuments (Ahbab Etourath), que je présidais alors, et prit part à toutes les actions pour la culture et la préservation de la mémoire. Il émit le vœu d'être enterré au cimetière chrétien de Tlemcen et j'eus l'immense privilège de recouvrir son cercueil de l'emblème national et de prononcer quelques mots lors de son inhumation, mots improvisés à une époque de terreur, où la plupart des responsables officiels n'ont pas jugé utile — ou prudent — de l'accompagner à sa dernière demeure. On ne peut pas résumer Bérenguer. La vie de cet immense patriote est un modèle pour nous tous. Cet homme, ce croyant, ce patriote, ce juste et cet homme libre n'a jamais voulu être spectateur dans la vie. Ni l'Eglise, ni les services spéciaux français d'abord et algériens ensuite, ni l'OAS, ni tous les colons catholiques comme lui, n'ont eu raison de sa détermination inébranlable pour la liberté et la dignité de tous les hommes et des Algériens dont ils se revendiquait toujours. Il a refusé tous les honneurs et tous les avantages matériels, se contentant du petit pécule que lui versait le diocèse. Il a été de tous les combats et a été un ami et un modèle pour tous ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer. C'était mon ami, c'était mon frère, c'était Alfred l'Algérien qui a fait tout ce que lui dictait sa conscience pour ses frères. Repose en paix Alfred, tes amis, tous ceux qui t'ont connu ne t'oublieront pas.