Rapide, entrecoupé de roulades, ensorceleur, le chant du chardonneret, ce passereau qui a séduit rois perses et conquérants omeyyades, continue à susciter les passions jusqu'à faire naître une véritable industrie, voire un commerce pas très honorable, et à mobiliser des moyens colossaux en vue de son acquisition. Son prix atteint facilement les 50 000 DA. Qualifié de viril, le chardonneret d'Algérie est particulièrement prisé pour son plumage brun qui se décline en mille et une couleurs au moindre de ses mouvements. La capitale de cette folle passion, car la pratique est d'abord citadine, est Annaba, suivie de Sétif et d'Alger. Jusque-là, tout semble logique, clair. Hélas, non ! Car le chardonneret fait partie des espèces menacées d'extinction, donc protégées. Encagé, il ne peut se reproduire qu'avec d'autres espèces d'oiseau pour donner le mulet (perte de la race pure). Les ornithologues n'ont de cesse de dénoncer ces nouvelles pratiques barbares qu'on ne peut assimiler à l'ornithomancie. Le chardonneret, el-meqnine, el-mezien, suscitant en particulier l'intérêt des Français et des Belges, se voit exporter illégalement. Le chardonneret blanc atteindrait les 10 000 euros, au grand bonheur des apprentis passionnés qui n'ont de passion que le gain facile. Ecouter chanter le chardonneret de mars à août ne leur procurant d'autre sensation que celle de palper les billets de banque. À ce train, seules les chansons chaâbi en l'occurrence continueront à vanter et à décrire la beauté du chant d'un oiseau asservi pour l'égoïsme des hommes, voué à disparaître si rien n'est fait.