Le récent sifflet suisse de la discorde semble avoir donné un coup d'envoi particulièrement insidieux à un débat qui n'est pas sans arrière-pensées. Complètement déstabilisée par une pratique politique engendrée par une crise économique et/ou identitaire sans précédent, du moins c'est ce qui ressort des discours politiciens, la classe politique de l'Hexagone donne l'impression d'en rajouter. Pourtant, les instances compétentes en la matière n'ont pas manqué, à l'occasion de la Conférence de l'ONU sur le racisme, organisée à Genève en avril dernier, de mettre en évidence l'augmentation des incidents d'intolérance raciale et religieuse, dont l'islamophobie et l'anti-arabisme, et de relever de manière plus spécifique la stigmatisation des personnes basée sur leur religion et leurs croyances. Le comité des droits de l'homme de l'ONU a exprimé sa préoccupation à propos du vote organisé le 29 novembre en Suisse et la campagne de publicité inflammatoire en faveur du oui, tout en affirmant que l'interdiction des minarets est discriminatoire quand elle ne divise pas profondément. Certes, les politiciens du neutralisme ont beau soutenir que le brûlot incriminé ne visait pas l'islam ou les musulmans et que l'interdiction des minarets pourrait améliorer l'intégration de la communauté mahométane, mais, de l'avis même du Haut-Commissariat de l'ONU, ce ne sont-là que des affirmations étranges a fortiori lorsque le symbole d'une religion est visé. L'attitude suisse, au demeurant alimentée par l'intolérance à l'honneur dans tous les pays européens où le message d'Allah donne l'impression de briller chaque jour davantage, n'est pas nouvelle. Elle rejoint étrangement le dogmatisme musulman et la période des Mourabitoun qui, sous la direction de l'émir Ibn Tachefine, considéraient l'érection d'un minaret comme une sorte de blasphème. Selon Yahia Ibn Khaldoun, l'historien de la dynastie des Zianides, l'ordonnance de la Grande Mosquée d'Alger est du même type que celle des mosquées de Cordoue et de Kairouan alors que sa construction, amputée d'un minaret, remonte vraisemblablement à 1097, soit quelques années à peine après l'arrivée au pouvoir des Mourabitoun au Maghreb central (1082). Le rigorisme et l'austérité almoravides seront battus en brèche par la dynastie des Zianides qui, à l'initiative d'Abou Tachefin, roi de Tlemcen, procédera en 1322 à la construction de l'une des pièces maîtresses de cet édifice. Une inscription dédicatoire gravée sur une plaque de marbre et fixée au mur dans la mosquée à l'entrée du minaret l'atteste : “Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux ! Que Dieu répande ses grâces sur N. S. Mohammed !” “Lorsque le prince des musulmans Abou Tachefin — que Dieu le fortifie et l'assiste ! — eut achevé le minaret d'Alger, dans une période dont le commencement est le dimanche, dix-septième de dhoul qaâda de l'année 722 (1322) et dont la fin et la clôture est la nouvelle lune de redjeb de l'année 723 (1323), ce minaret sembla par son aspect s'écrier : quel est le minaret dont la beauté est comparable à la mienne ? Le prince des musulmans a érigé des boules dont il m'a composé une parure brillante et complété ma construction, la lune du firmament s'est présentée à moi dans tout son éclat et m'a dit : sur toi mon salut, ô toi la seconde lune !” “Aucune vue en effet ne captive les cœurs comme la mienne. Venez contempler ma beauté et l'aspect réjouissant de mes couronnes.” “Puisse Dieu accroître l'élévation de celui qui m'a achevée, comme ce dernier l'a fait à mon égard en élevant mes murs.” “Que l'assistance de Dieu ne cesse d'être autour de son étendard, le suivant comme un compagnon et lui servant de seconde armée.” L'imam Al-Ghazali ne disait-il pas dans la Revivification des sciences religieuses : “Chaque cœur, malgré les différences individuelles, est prédisposé à connaître la réalité des choses, car il est une chose divine — âmr rabbâni — et noble, qui par cela même se distingue des autres substances du monde, (car il est) le lieu de la science des choses divines.”