Le beau rêve de traverser les 1 200 km qui relient l'est à l'ouest du pays en 9 heures de temps à peine s'est vite transformé en horrible cauchemar. Et pour cause, le projet du siècle, l'autoroute Est-Ouest, s'est révélé être la plus grosse escroquerie du siècle. C'est que le plus grand chantier du règne de Abdelaziz Bouteflika est entaché de graves malversations qui ne manqueront pas d'écorner l'image de l'Etat algérien auprès de l'opinion publique nationale et internationale. Certes, et c'est un secret de Polichinelle, les affaires de corruption sont légion en Algérie. Mais comme d'ailleurs l'affaire Khalifa, le scandale de l'autoroute Est-Ouest a une particularité : l'implication à grande échelle de hauts responsables de l'Etat. En un mot, la connexion entre politique et affairisme est percée à jour. D'anciens ministres, des cadres de l'Etat et de hauts gradés de l'armée sont mis en cause dans cette scandaleuse affaire. L'enquête n'étant pas encore bouclée, il n'est pas exclu que d'autres hauts responsables soient impliqués. Le plus grave est que le projet cher à Amar Ghoul est frappé d'irrégularités de bout en bout. Coût, délais, taux d'avancement des travaux, qualité du bitume utilisé… tout est sujet à caution. Le doute est partout. À son lancement déjà en 2006, le projet a suscité bien des interrogations. Beaucoup ne croyaient pas qu'un chantier d'une telle ampleur puisse être achevé. De plus, il a suscité une grosse polémique à propos d'un surcoût estimé à plus de 1 milliard de dollars. “Cette histoire du milliard de dollars qu'on aurait ajouté au coût réel du projet n'est que pure affabulation”, répondait alors, fortement agacé, le ministre des Travaux publics. Mieux encore, le coût du projet s'est révélé au fil du temps très élastique : de 4,5 milliards en 2004, il atteindra, quelques mois plus tard, les 6 milliards de dollars avant de passer en 2006, date d'attribution du projet au groupe chinois, du simple au double : 12 milliards de dollars. Même le coût définitif a fait l'objet d'une polémique. Si Amar Ghoul crie à qui veut l'entendre que le montant du projet ne dépassera pas les 11 milliards de dollars, Abdelaziz Belkhadem lui, a parlé, lors du sommet Chine-Afrique tenu au Caire début novembre dernier, de 12 milliards de dollars. Mieux, d'autres, s'appuyant sur le taux d'avancement des travaux qui seraient à 40% à peine, alors que Amar Ghoul parlait de 85%, estiment que le coût réel dépassera allègrement les 20 milliards de dollars. Mais comment le scandale a-t-il éclaté ? Tout a commencé quand les services de sécurité ont été mis au parfum des affaires de corruption qui ont émaillé le contrat de l'autoroute Est-Ouest. Une enquête est déclenchée en août 2008. Au bout d'une année d'un minutieux travail, les services de sécurité ont mis la main sur le premier gros poisson : Chani Medjdoub. Arrêté en septembre dernier, cet Algérien résidant au Luxembourg où il exerce comme juriste-fiscaliste, est mis sous les verrous. Lors de son interrogatoire, il a livré beaucoup de noms : 5 hauts gradés de l'armée (un général et 4 colonels) et 7 civils dont Mohamed Bouchama, secrétaire général du ministère des Travaux publics, qui est actuellement incarcéré à la prison de Serkadji. Ferachi Belkacem, chef de cabinet de Amar Ghoul, a été lui aussi inculpé par le juge d'instruction près le tribunal de Sidi-M'hamed. Des ministres proches du président de la République ont été aussi cités dans cette affaire. Medjdoub, un habitué des contrats internationaux, a été introduit auprès du SG de Amar Ghoul grâce à un ami à lui : un colonel du DRS qui assure les fonctions de conseiller du ministre de la Justice. Ses entrées au sein du gouvernement algérien assurées, Medjdoub s'imposera vite comme interlocuteur incontournable auprès des Chinois grâce à un appui de taille d'un homme : Pierre Falcone. Condamné en France à six ans de prison ferme pour son rôle dans l'affaire de vente d'armes à l'Angola, ce célèbre homme d'affaires français s'est taillé une solide réputation auprès des sociétés chinoises d'intermédiaire incontournable pour se frayer une place dans le marché algérien. Il était à Alger en avril 2006 pour prendre part à l'ouverture publique des plis pour l'attribution du projet de l'autoroute Est-Ouest. Pis, il aurait même failli assister à un Conseil interministériel algérien, si ce n'était l'opposition d'un membre du gouvernement. L'implication de tout ce beau monde permet de conclure que c'est tout un réseau de corruption bien introduit dans les sphères décisionnelles qui est à l'origine de ce scandale du siècle. Reste à savoir si des têtes de gros bonnets seront tombées ou, comme dans l'affaire Khalifa, on se contentera de jeter en pâture les seuls lampistes. Une question : les autres projets lancés cette dernière décennie sont-ils, eux, exempts de toute malversation ? Le ver étant dans le fruit, le doute est bien permis.