Rares sont les observateurs avertis, en dehors des structures officielles d'évaluation, qui ont pu déceler une quelconque adéquation entre la mise de départ et les résultats, plus qu'étiques, obtenus par les divers programmes de relance mis en œuvre par les pouvoirs publics. Afin d'en savoir un peu plus, Liberté s'est rapproché d'un des experts financiers reconnus sur la place, et ailleurs, le docteur Nacer Bouyahiaoui, fondateur de la chaire d'intelligence économique et veille stratégique à l'ISGP, avant qu'il ne soit contraint de quitter cet institut qui aurait pourtant bien besoin de ses connaissances et de son enseignement. Liberté : Comment évaluez-vous le résultat des divers plans de relance ? Docteur Bouyahiaoui : La planification en soi n'est pas une mauvaise chose. Mais il faut définir au départ certains objectifs et des orientations de croissance. Avant de réaliser un plan de croissance, il faut opérer un diagnostic, un état des lieux qui tienne compte, autant que possible, des moyens matériels, financiers et humains, existants et potentiels, et déterminer les déficits éventuels à combler sur une période déterminée de la manière la plus précise : c'est là une condition sine qua non pour le succès de n'importe quelle stratégie de développement sérieuse. Jusqu'ici les pouvoirs publics ont surtout tablé sur les moyens financiers sans réellement tenir compte des moyens matériels et des ressources humaines aussi bien non qualifiées que qualifiées. La problématique de l'expertise n'a pas été envisagée de manière rigoureuse. Résultat des courses, on a souvent dû recourir à l'expertise étrangère, sans vraiment savoir de quoi on dispose sur place à ce propos. Les entreprises étrangères ont été contraintes de ramener la main-d'œuvre qualifiée ou non pour combler le déficit réel ou supposé en ressources humaines. En Algérie, on constate un manque flagrant de main-d'œuvre qualifiée ou non et surtout d'expertise d'un certain niveau au moment de la mise en œuvre des grands chantiers. Cela est dû au fait que le diagnostic n'a pas été fait avant le lancement du projet, ni d'ailleurs à mi-parcours. On a fait parfois le constat de carence à mi-parcours sans tenter sérieusement de remédier aux problèmes. Du coup, les programmes publics ressemblent plus à des dépenses anarchiques qu'à des projets mûrement réfléchis. Ces dépenses dans des projets insuffisamment maturés deviennent suicidaires. Tout laisse penser que quelque part on tenait à mettre coûte que coûte ces projets, sans tenir compte de la réalité du terrain. Le leadership algérien a été piégé par ses propres promesses contenues dans des projets grandioses à réaliser qui ont abouti à la dilapidation de plusieurs centaines de milliards de dollars, et il est même devenu l'otage de ces projets. De plus, l'entêtement du leadership l'empêche de rectifier le tir ou de changer d'orientation afin de mieux cibler les projets d'investissement créateurs de richesses à long terme. Quel est l'impact de ces enveloppes budgétaires sur le terrain et sur le paysage économique national ? Malgré toutes ces dépenses, l'impact sur le terrain économique est faible. Le même résultat aurait pu être obtenu avec 25 à 30% d'économie au moins. Ce qui est énorme et pose la question de l'efficacité, de l'efficience et de la performance du capital investi. Espérons que beaucoup de choses vont être rectifiées et revues afin d'éviter de reproduire les mêmes erreurs lors du prochain plan quinquennal. Jusqu'ici les coûts des assainissements successifs des entreprises, les surcoûts générés dans les grands projets comme l'autoroute Est-Ouest, laissent pantois : on devrait tenter de savoir pourquoi on n'a pas opté, en temps opportun pour le système du BOT (build operate & transfer), aussi bien pour le projet d'autoroute que pour d'autres gros projets. On a parlé de 1 million de logements à réaliser durant le quinquennat 2004-2009, et on parle aujourd'hui de 1 million de logements à réaliser entre 2010 et 2014. On constate qu'il existe encore une bonne part de “restes à réaliser”. Par ailleurs la CNL, à son lancement, accordait une moyenne de 510 à 60 mds DA/an. En 2009, on est arrivé à près de 110 mds DA, et d'ici 2014, on atteindra 150 à 160 mds DA/an. À ce propos, je ne comprends pas pourquoi accorder des taux d'intérêt bonifiés aux seuls fonctionnaires, un tel favoritisme ne peut être justifié d'un point de vue éthique. Ne serait-ce pas une forme de corruption ? Il serait plus juste que la Banque d'Algérie ramène son taux directeur à 1,5% (c'est à peu près le niveau aux USA), les banques pourraient accorder des prêts à des taux situés entre 2 et 2,5% à beaucoup de monde : des liquidités existent, elles devraient être disponibles pour que tout le monde puisse créer de la richesse plutôt que de laisser ces capitaux dormir. Reste qu'à observer l'évolution des dépenses de ces dernières années, une question s'impose à l'esprit : quelles sont les performances, quelle est l'efficience de ces “investissements” entre parenthèses ? Pour ce qui est des entreprises publiques, qu'il s'agisse de grosses boîtes ou de PME, lorsque l'argent sert à les relancer, c'est très bien, mais effacer la dette pour un énième assainissement, une énième restructuration, est-ce la bonne solution ? Quelles seraient les solutions idoines selon vous, si on ne recourt pas à la liquidation pure et simple avec tout ce que cela entraîne en pertes d'emplois ? Je pense que le Trésor devrait racheter la dette des entreprises publiques auprès des banques et les remettre sur le marché sous forme d'emprunts obligataires. Mieux, le Trésor devrait pousser ces entreprises publiques à émettre des emprunts obligataires. Le Trésor garantirait le montant de la dette, ce qui devrait renforcer la confiance des acheteurs. Le schéma est le suivant : le Trésor rachète la dette des entreprises auprès des banques, émet l'emprunt obligataire puis récupère sa mise (les entreprises restent endettées vis-à-vis du Trésor, et elles rembourseront leurs dettes avec un faible taux d'intérêt, ce qui leur permettrait d'économiser les frais financiers (qu'ils auraient versés à leurs banques). Dans un deuxième schéma, le Trésor rachète les dettes des entreprises publiques auprès des banques en poussant les entreprises à émettre des emprunts obligataires avec des montants supérieurs à leurs dettes. Le Trésor sera le garant de ces emprunts, il pourra récupérer son capital, alors que la différence permettra aux entreprises de se restructurer et d'activer. Ce genre d'emprunts à faible taux d'intérêt est généralement émis pour une durée de 3 à 5 ans. À votre avis, l'option PME ne serait-elle pas stratégique ? Malgré tous les efforts des autorités monétaires et politiques, on n'arrive pas encore à asseoir une stratégie de création de PME génératrices de richesses. C'est à croire qu'on veut créer des PME à n'importe quel prix ! Or il est hors de question de créer pour créer, sans garantie de durée, mais de créer des PME génératrices de richesses. Ne serait-on pas en train de viser quelque part la résorption immédiate du chômage ou existe-t-il une stratégie de création de richesses à moyen et long terme ? Dans l'affirmative, il serait judicieux de calculer combien coûte la création d'un emploi en Algérie aujourd'hui. On oublie souvent d'insister sur la formation, lorsqu'il s'agit de ressources humaines, et de l'adéquation de cette formation par rapport au terrain. Ainsi on forme beaucoup sans que pour autant les diplômés soient capables d'affronter avec succès le marché du travail. Il faudrait sans doute revoir, là aussi, l'ensemble de la stratégie de formation en fonction des vœux de l'étudiant et des orientations disponibles. Il est vital de revoir la formation des formateurs aussi bien au niveau des instituts publics que privés, des universités et des centres de formation professionnelle. Pourtant l'Etat dépense beaucoup d'argent pour la formation... À quoi servent les diplômes délivrés par les instituts et universités algériennes ? Les meilleurs étudiants, faute de prise en charge en Algérie, quittent le pays à la première occasion. En Algérie, on forme la quantité mais pas la qualité et c'est triste lorsqu'on sait que le budget accordé à l'enseignement à ses divers paliers, éducation nationale, formation professionnelle, enseignement supérieur et recherche est le plus important dans chaque loi de finances, on ne peut qu'être déçu des résultats. Les diplômés opérationnels sont rares et les plus qualifiés ne cherchent qu'à quitter au plus tôt le pays pour des destinations connues : Canada, USA, UE… Là aussi les dépenses sont loin d'être en adéquation avec les résultats. Si on persiste avec le même rythme à recourir à des dépenses inefficaces, on risque de payer très cher cette attitude, en cas de baisse du prix du baril. Parler d'économie implique gain et donc prise en compte des concepts économiques élémentaires : efficacité, efficience, rendement, productivité du travail, rentabilité, compétitivité, etc. On oublie trop souvent de souligner la rareté de la ressource qui nous fait vivre. On est en train d'utiliser une ressource non renouvelable, les hydrocarbures, qui se raréfient chaque jour un peu plus et qu'on dilapide au lieu d'investir. Ces ressources rares devraient être utilisées en vue de créer des infrastructures économiques créatrices des richesses qui remplaceraient plus tard les revenus provenant des hydrocarbures plus tard. C'est là que réside le pari à gagner coûte que coûte par l'Algérie.