La bataille pour la dignité, menée pendant un mois par la militante sahraouie des droits de l'homme, Aminatou Haïder, est sur toutes les lèvres des Sahraouis, rencontrés lors de notre séjour dans les camps de réfugiés, du simple citoyen au président de la République sahraouie (RASD), en passant par nos confrères journalistes et les différents cadres de l'administration et des structures du Front Polisario. Ce petit bout de femme, surnommée affectueusement la “Gandhi du Sahara”, est devenue un des plus importants modèles de la résistance sahraouie, surtout chez les jeunes. Elle a réussi, disent-ils, à donner un second souffle à “l'Intifada de l'indépendance”, qui fêtera ses cinq années en mai prochain, grâce à sa grève de la faim mémorable, qui a pourtant failli lui coûter sa vie et rendre orphelins ses deux enfants. Aminatou, celle-là même qui a été invitée dans différents forums occidentaux et honorée par plusieurs prix internationaux, y compris celui de la fondation américaine Kennedy, a fini par retourner “par la grande porte et sans conditions” dans sa ville d'El Ayoun, qui n'est autre que la capitale du Sahara occidental sous occupation marocaine, soutient-on fièrement. Pour Khadidja Hamdi, l'épouse du président de la RASD que nous avons approchée, lundi dernier, lors de la première visite officielle du président de l'APN, Abdelaziz Ziari, dans les camps de réfugiés sahraouis, “Aminatou est une partie de nous”. Une manière de dire que cette activiste a réussi à renforcer les liens entre les Sahraouis des territoires occupés et les Sahraouis exilés dans les camps de réfugiés et ailleurs. “Aminatou est une amie et une militante qui a connu la prison et la torture, et qui a déjà entamé des grèves de la faim. Mais avec sa dernière grève de la faim, elle a donné à la cause sahraouie une dimension nouvelle et plus juste par rapport à ce qu'endure le peuple sahraoui, par rapport à sa résistance pacifique et par rapport à ses attentes nationaux”, nous a confié la ministre de la Culture, également membre de la direction nationale du Polisario. Toujours selon Mme Hamdi, l'actuelle surveillance d'Aminatou Haider, de sa maison et de sa famille, par les forces d'occupation, prouve une chose, que “le Maroc a peur de cette femme qui a défendu avec courage la question des droits de l'homme, ainsi que les revendications légitimes du peuple sahraoui, relatives à l'autodétermination et à l'indépendance”. La mise à nu du Makhzen Au cours d'un meeting populaire, organisé à l'arrivée de M. Ziari, Bachir Mustapha Sayyed, un des cadres du secrétariat national du Front Polisario, a déclaré que la bataille engagée par Aminatou, dans un aéroport espagnol, traduit “la volonté du peuple sahraoui colonisé, portée par une femme, de s'opposer à l'expansionnisme et au colonialisme”. Plus explicite, il a indiqué que le combat de l'enfant d'El Ayoun occupé a infligé “un coup dur au lobby espagnol” et placé les dirigeants marocains dans “l'impasse”, en mettant à nu le régime de Rabat, en matière de manquements à la démocratie et d'atteintes aux droits humains. Résultat, dira-t-il, “le régime marocain est apparu dans sa vraie nature et la vitrine servant à arborer le plan d'autonomie (du Sahara occidental, ndlr) s'est brisée”. “La bataille légendaire d'Aminatou Haider a eu un impact et des effets meilleurs que ceux que nous avons obtenus ces 18 dernières années. Par ailleurs, elle a montré que le Maroc ne mérite pas ce que l'Union européenne lui a octroyé et que le lobby espagnol doit payer la facture de la "vente" du peuple sahraoui”, a souligné M. Mustapha Sayyed. Plus loin, ce dernier a tenu à signaler que l'Intifada, déclenchée dans les territoires sahraouis occupés, de même que la dernière bataille conduite par Aminatou Haïder “équivalent notre espoir et nos perspectives et signifient donc qu'il n'y a pas d'alternative à l'autodétermination”. Un rappel à l'ordre réitéré plus tard par le Premier ministre de la RASD, Abdelkader Taleb Omar, lorsque celui-ci a affirmé, à l'ouverture des travaux de la session du Parlement sahraoui, que le peuple sahraoui doit se préparer en cas de “fait accompli marocain, qui menacerait la paix dans la région, les droits de l'homme dans les territoires occupés sahraouis et le droit international”. Un rappel à l'ordre renouvelé, le 4 janvier dernier, en fin de journée, par Mohamed Abdelaziz, le président de la RASD, également secrétaire général du Polisario. Le chef de l'Etat sahraoui a clairement laissé entendre que si la lutte pour l'indépendance du pays exige un prix à payer au peuple colonisé du Sahara occidental, les sacrifices et les souffrances de ce même peuple, y compris ceux d'Aminatou Haïder, d'Ali Salem Tamek et de ses six compagnons, ne peuvent, cependant, s'accorder avec les démarches complaisantes et indifférentes émanant de l'Union européenne et de la communauté internationale. Le Front Polisario et le gouvernement de la République sahraouie précisent qu'“il faut réunir les conditions indispensables pour la réussite des négociations directes entre les parties du conflit”, a-t-il déclaré, lors de la réception organisée à l'occasion de la visite du troisième homme de l'Etat algérien. Mohamed Abdelaziz a en outre réitéré l'entière disponibilité du mouvement de libération nationale sahraoui et des autorités de la RASD à travailler avec les Nations unies. Par “conditions indispensables”, Mohamed Abdelaziz entend notamment la levée de l'embargo sur les territoires sahraouis sous occupation marocaine, la mise en place, par l'ONU, d'instruments de protection de la population de ces zones occupées, la levée immédiate des contraintes encerclant la militante Aminatou Haïder, la libération des activistes sahraouis des droits de l'homme et des détenus politiques, ainsi que l'arrêt du pillage des ressources naturelles du Sahara occidental. “Le temps est venu de mettre fin au crime contre l'humanité”, a annoncé par la suite le chef de l'Etat sahraoui, en faisant référence au “mur militaire marocain”, dressé par Rabat dans les années 1980, sur une partie du territoire sahraoui, avec l'intention à la fois d'isoler le Front Polisario de la population sahraouie et de profiter en toute impunité des richesses dont regorge ce territoire. L'ONU de nouveau face à ses responsabilités Près de 35 ans après l'invasion de l'ancienne colonie espagnole, par les forces armées royales, et 25 ans après la construction du dernier pan du “mur de la honte”, le royaume chérifien maintient le cap dans sa fuite en avant et dans le reniement des engagements pris devant la communauté internationale, quant à la tenue d'un référendum d'autodétermination du peuple sahraoui. Le discours prononcé par le roi Mohammed VI, dans la soirée du 3 janvier 2010, présenté néanmoins avec moins d'arrogance que celui du 6 novembre dernier, n'invite pas à la sérénité. Bien au contraire, il vient en porte-à-faux avec les résolutions de l'ONU, à commencer par celles de la IVe commission de décolonisation, dont la plus récente date d'octobre 2009. Dans les camps de réfugiés sahraouis, les déclarations faites au début de la nouvelle année sont interprétées comme “une insulte” au processus de paix onusien et “un nouveau complot” encouragé par “le silence complaisant de l'ONU”, voire même comme “une réponse directe” à la dynamique suscitée par l'action d'Aminatou Haïder, à l'échelle sahraouie et au niveau international. Pour la majorité des Sahraouis abordés, notamment chez la population juvénile, le discours de Mohammed VI a dénaturé l'histoire du conflit du Sahara occidental et vise à détruire tous les acquis arrachés par la lutte, alors que le prix payé par les Sahraouis se compte en “martyrs, souffrances, enlèvements, disparitions, assassinats, emprisonnements et exil”. Selon eux, la situation exige une réponse ferme et immédiate des Nations unies et des autres organisations, à commencer par l'Union africaine, en sa qualité de coauteur du plan de règlement de 1990-1991 et parce que la RASD est membre à part entière de l'UA. D'aucuns n'ont pas caché leur dégoût ou leurs appréhensions devant cette nouvelle “politique douce” et ces “mensonges annoncés publiquement et en toute impunité”, estimant qu'ils sont destinés à faire encore gagner du temps au Maroc et, par voie de conséquence, à prolonger le calvaire du peuple sahraoui. D'autres ont vu dans les propos du roi du Maroc la mise en place d'une “nouvelle stratégie” reposant sur un double objectif : d'abord miner le Polisario et ensuite recentrer le débat sur l'autonomie du Sahara occidental, en veillant à reprendre le terrain perdu. Parmi ces derniers, certains pensent dur comme fer que toute concession touchant principalement Aminatou Haïder et le groupe des 7 militants des droits humains arrêté, il y a quelques mois, à son retour des camps de réfugiés, sera comprise dans l'esprit de tous les Sahraouis comme une condamnation à toute résistance à l'occupation marocaine, en premier lieu la condamnation de ceux qui se trouvent de l'autre côté du mur, confrontés directement à la lourde machine coloniale. “Devant la poursuite de cette intransigeance (du Maroc), le temps est venu pour la communauté internationale de prendre toutes ses responsabilités et d'exercer toutes les sanctions qui s'imposent sur le gouvernement marocain, afin de le remettre sur les rails de la légalité internationale et du droit international humanitaire”, a soutenu le président de la RASD, au lendemain du discours du roi Mohammed VI. Son appel sera-t-il entendu à temps par les décideurs de l'ONU et de l'UE ? Pour les réfugiés sahraouis, principalement les jeunes, la question de la décolonisation du Sahara occidental n'a jamais été plus claire qu'aujourd'hui et “le combat d'Aminatou se poursuivra”. “Toutes les preuves sont réunies sur les véritables desseins de l'occupant marocain et sur notre attachement à notre terre et à nos droits”, soutiennent-ils. Sans cacher pour autant leur doute, sinon leur perplexité devant “la mollesse de la communauté internationale”.