“Ô mienne Casbah tirée des songes, de corsaires aux cheveux de corde tracée d'une main rêveuse sur les escaliers du ciel. Je suis ta fille revenue des siècles de lumière, habillée de voiles tissée de palabres.” Le décor est planté. Telle une pièce de théâtre avec plusieurs actes, l'auteur revient sur le quotidien d'habitants d'un des plus anciens quartiers populaires d'Alger : La Casbah. Pour raconter ce quotidien, l'auteur Hamid Skif a opté pour une voix féminine ; celle de ses personnages. Dix nouvelles qui racontent des histoires des plus anodines, qui nous rappellent un vécu, un temps révolus. Tel un conteur, voire un “goual”, il relate, avec une écriture imprégnée de poésie, de légèreté, il happe le lecteur dans cet univers. De prime abord, une première impression se dégage : pourquoi ce côté plutôt négatif de la femme “casbadjienne” ? Car la plupart des “héros”, qui sont plutôt des “héroïnes”, car des femmes, sont des personnes un tantinet méchantes, médisantes, fouineuses, aigries… À se demander pourquoi ce tableau si déplaisant pour la femme. Une image un peu noircie au point qu'on croirait que l'auteur est misogyne. Des héroïnes qui n'ont rien à voir avec celles des contes de fées. Les trames de ces nouvelles tournent autour de femmes issues de générations différentes. Il y a Lalla Zhor, cette grand-mère qui se remémore le temps passé, la belle époque. Une époque où les habitants de La Casbah vivaient en harmonie, où la fête régnait. À travers le regard de cette grand-mère, c'est une comparaison de la vie d'aujourd'hui à celle d'hier. Il y a aussi Djowher, cette belle-mère qui n'a pour passe-temps favori que le commérage. Elle est décrite par sa bru. Jusqu'au moindre petit détail. Une belle-mère égoïste, indifférente ; tout ce qui l'intéresse, ce sont les cancans. Elle ne rate personne, même sa famille y passe. Son mari l'appelle la “braise”, alors que son fils en a honte… Il y a Rokia, la vieille fille qui se morfond sur son sort alors que la solution est à sa portée. Mais coincée par les us et coutumes, elle n'ose faire le premier pas. Préférant sa vie vide et aider les voisines à faire les gâteaux que prendre sa destinée en main. Mais les Escaliers du ciel, ce n'est pas uniquement ces mouquères mauresques qui ne font que colporter, ou ces femmes qui ne vivent dans le passé, ignorant que les temps ont, certes, changé, et que chaque époque ne peut ressembler à celle qui vient de passer. Dans ce recueil de nouvelles, Hamid Skif met en avance aussi d'autres “héroïnes” qui veulent briser l'image qu'ont les gens de la ville sur les filles de La Casbah. Lila, Djamila, Chahrazad, Abla en font partie. Les deux premières rêvent d'un avenir meilleur, clément. La troisième, elle, une féministe, veut inverser la vapeur et [re]donner à la femme non pas un statut de dominatrice, mais une vraie place dans la société : respectée et considérée. Elle est ce Don Quichotte des temps modernes, car elle sait que sa mission est ardue. Quant à la dernière, une petite fille jouant avec ses camarades de jeu (deux petits garçons), c'est elle qui commande, qui décide. Les deux autres s'exécutent. Il y a aussi le rêve de cette inconnue. Une jeune fille qui attend son prince charmant. Ce dernier ne viendra pas sur un cheval blanc. Non, il sera marin. C'est normal, La Casbah surplombe le port et domine la grande bleue : la Méditerranée. Son bateau accostera le port d'Alger. Il aura les bras chargés de présents : de la soie venue des différents pays… Avec la diversité des “héroïnes”, c'est une autre image de la femme qui est donnée. Une image connue, pas nouvelle, car elle a toujours existé. En fin observateur, l'auteur fait exprimer les femmes utilisant le pronom “je”. Ainsi elles deviennent plus importantes, plus grandes. Le choix de la femme n'est pas fortuit. Détentrice des us et coutumes, c'est à travers elle qu'on arrive à décortiquer une société. “Et c'est par la voix des femmes qu'on apprend quelque chose à leur sujet”, dit en substance Annissa Kahla. Les Escaliers du ciel, Hamid Skif, nouvelles, 125 pages, Apic éditions, Alger, 2009. Illustrations d'Elise Herberstein, posteface d'Annissa Kahla.