“Il y a un profond malaise.” Le constat revient comme un leitmotiv dans la bouche de personnes plus ou moins au fait de ce qui bout en ce moment dans la marmite politico-sociale du pays. La partie visible de ce malaise est ce qui est en train de se passer dans les deux secteurs de l'éducation et de la santé, tous deux en proie à une fronde sociale qui dure. Cela fait plus de trois mois que les médecins et spécialistes de santé publique sont en grève. Ils n'assurent que les urgences, et encore. Trois mois de rupture de soins jalonnés par des sit-in à l'intérieur de l'hôpital, devant le siège du ministère, les directions de la santé de wilaya. Sans le moindre résultat. “Ceux qui font les frais de cette grève sauvage, ce sont les pauvres qui n'ont pas les moyens d'aller chez le privé, ce sont les malades chroniques”, déplore un responsable syndical. “Un grand nombre de ces médecins grévistes désertent l'hôpital, mais font des gardes dans le privé”, réprouve-t-il. Mais le plus terrifiant, c'est l'absence de perspective de dénouement pour ce conflit. Les médecins refusent de faire machine arrière sur la question du statut et le ministère, qui ne peut donner que ce qu'il a, multiplie les appels à la conciliation. Un peu comme qui donnerait un cachet d'aspirine pour une fièvre de cheval. Le même scénario dans le secteur de l'éducation, mais avec d'autres acteurs. Une première grève de 21 jours le mois de novembre au bout de laquelle les syndicats autonomes qui sont à la manœuvre acceptent de reprendre les cours. Le gouvernement s'étant engagé publiquement, par communiqué le 15 novembre 2009, à “répondre favorablement” à leurs revendications. Dans la foulée de cet engagement, trois commissions sont mises en place pour les trois dossiers objet de la discorde, à savoir le régime indemnitaire, la gestion des œuvres sociales et la médecine du travail. Date limite de remise des copies le 30 janvier 2009. Arrive cette date sans qu'aucune des commissions boucle son dossier, “à cause de divergences profondes entre les syndicats et les fonctionnaires du ministère”. Benbouzid, dans l'une de ses sorties à Batna, dans le cadre des évaluations pédagogiques régionales, tout en appelant à la patience “des collègues enseignants” laisse entendre que la commission paritaire chargée du régime indemnitaire achèverait son travail en mars. Une date qui a pour effet de remettre le feu aux poudres, les syndicats engagés dans la négociation soupçonnant Benbouzid de jouer la montre. Nouvelle grève. Le ministre, dans la précipitation dictée par la crainte d'une grève prolongée, tente une opération de “com”. Il rend publiques, par voie de presse, les nouvelles augmentations qu'il qualifie “de conséquentes” et des rappels sur deux mois à donner envie à beaucoup de vouloir embrasser une carrière d'enseignant. Le lendemain, les syndicats, notamment le Cnapest et l'Unpef, crient à la manipulation et parlent de “fausses augmentations”. Dans le meilleur des cas, selon eux, “ces augmentations ne dépassent pas 3 600 DA. Pour le reste, le ministère n'a fait que convertir des primes qu'on perçoit semestriellement”, avertit Larbi Nouar, le patron du Snapest. Résultat de cette guerre médiatique sur fond de vraies/fausses augmentations : les élèves qui se retrouvent encore une fois pris en otages. Le spectre de l'année blanche plane, les élèves et leurs parents sont au bord de la crise de nerfs. Dans certains lycées, les élèves ont tenté de sortir dans la rue. Déjà l'exigence d'une deuxième session du bac est en train de faire son bonhomme de chemin. Idée qui doit faire dresser les cheveux sur la tête de Benbouzid qui vient d'actionner le levier de la justice pour contraindre les syndicats à mettre un terme à leur grève. Dans le secteur industriel, le feu n'est pas totalement éteint, c'est juste une trêve tactique. Les travailleurs de la SNVI ont une oreille tendue vers les négociations actuellement en cours au niveau des filiales. Ils menacent de reprendre la protesta s'ils n'obtiennent pas des augmentations. “C'est difficile de les convaincre que les moyens de l'Etat sont limités, que l'augmentation des salaires doit être liée à la croissance de l'entreprise”, avoue le responsable syndical. “Comment il n'y a pas d'argent pour les travailleurs, alors qu'eux (entendre les responsables) ils se servent par camions "bel kmayin"”, s'entend souvent rétorquer ce responsable syndical qui insiste sur l'impact négatif des scandales financiers qui font les manchettes des journaux sur les travailleurs et l'opinion en général. À ce front syndical en pleine effervescence s'ajoute la situation du marché avec l'envolée hallucinante de certains produits de large consommation. Les légumes secs et le sucre qui constituent la ration du pauvre changent de statut pour devenir des produits de luxe pour les smicards. Une étude réalisée fin 2009 par une institution, dont les travaux sont généralement connus pour leur crédibilité, fait ressortir que le salaire minimum national doit être de 50 000 DA. “Rien que les besoins alimentaires et vestimentaires du salarié sont chiffrés à 17 565 DA”, insiste le responsable de cette institution. Le ministre du Commerce, El Hachemi Djaâboub, ne fait pas mieux que ses collègues de l'Education et de la Santé, et d'autres secteurs où les clignotants sont au rouge. Ses menaces à répétition contre les spéculateurs, ses annonces de créer des mécanismes de régulation du marché, de faire jouer la concurrence au bénéfice des consommateurs s'avèrent être de vaines incantations. Face à ces tensions, l'Etat donne l'impression d'être en panne d'initiatives. “Où est l'autorité de l'Etat ?” se demande-t-on souvent face à tant d'incurie, à tant de scandales. Le gouvernement est comme pris dans le piège de l'inertie. “Les ministres font semblant de bouger, de multiplier des déplacements pour faire croire qu'ils travaillent, mais, en fait, ils bougent pour mieux cacher leur immobilisme”, commente notre interlocuteur. L'équipe dirigée par Ouyahia est à la limite de ce qu'elle peut donner. Ce qui oblige le président de la République à faire bouger les choses à ce niveau. Et le changement de gouvernement reste la piste de travail la plus vraisemblable, pour lui permettre d'abord de reprendre l'initiative, après son retrait ostentatoire de la scène politique, mais surtout provoquer un déclic qui permettra de dépasser la situation actuelle de crise profonde, et donner au pays une visibilité.