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Le nouveau dragon du sud-est asiatique
La malaisie Un petit pays aux grandes ambitions
Publié dans El Watan le 02 - 01 - 2006

Prises de court par cet événement, les autorités malaisiennes tentent de dédramatiser et d'en limiter la portée en rassurant que l'intégrisme n'a pas d'avenir dans ce pays, où l'Islam, dit-on, est dans les cœurs et non au bout du fusil. Après les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001, les pays musulmans font partout peur sauf peut-être dans un seul pays qui fait l'exception à la règle : la Malaisie.
Ce pays musulman du Sud-Est asiatique de 26 millions d'habitants, au confluent de plusieurs civilisations musulmane, chinoise et hindoue, peut se targuer d'avoir sinon réformé l'Islam, du moins poussé l'ijtihad dans le sens de l'instauration d'une société respectueuse de ses valeurs pluriethniques et multiconfessionnelles qui font la richesse de ce pays et le succès du modèle malaisien. La Malaisie est un pays musulman et l'Islam est religion d'Etat. Les Malais, population autochtone de confession musulmane, constituent officiellement 70% de la population du pays - un peu plus de 50% selon d'autres sources -, le reste étant composé de Chinois qui viennent en seconde position avec environ 20%, suivis des Hindous et d'autres ethnies, minorités dans les minorités. Le visiteur étranger qui débarque à l'aéroport de Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie, ou dans n'importe quel autre aéroport international du pays, est tout de suite frappé par cette image saisissante de pays ouvert sur le progrès et la modernité sous toutes ses facettes. La découverte du pays profond, du système politique, du modèle de société malaisien qui a su allier avec bonheur Islam et modernité sont autant de preuves dans ce siècle où l'Islam est devenu un repoussoir du fait de la perversion du message coranique par les nouveaux prophètes, que l'Islam peut se conjuguer au présent et au futur. Dans les rues de la capitale et dans d'autres régions relevant d'autres Etats fédérés que nous avons visités, comme à Langkawi dans le nord-est du pays, région touristique par excellence, on a beau chercher le moindre signe ostentatoire qui rappelle que l'on est bien dans un pays islamique, on ne le trouvera nulle part. Le port du foulard islamique n'est pas une obligation comme dans d'autres autres Etats musulmans. Dans la rue, on peut croiser autant de femmes en foulard que de femmes habillées à l'occidentale dans la même communauté malaise musulmane. Leur présence est tellement discrète - pour tout signe distinctif elles portent un fichu sur la tête et rien de plus - qu'elles se fondent dans une parfaite harmonie dans la foule au milieu des autres communautés ethniques et religieuses. Lorsque l'on vient à croiser une femme en « niqab », que l'on ne s'y méprenne pas ! Ce n'est pas une Malaise mais une ressortissante de pays du Golfe. Dans le même registre, les hommes issus de la communauté musulmane malaise ne semblent pas avoir subi la moindre influence de l'idéologie de l'Islam fondamentaliste tel qu'il est pratiqué sous d'autres cieux islamiques plus rigoristes dans la pratique et la compréhension de l'Islam. Ici pas de barbus comme on en rencontre dans nos sociétés pour ne pas citer d'autres pays où un bon musulman pratiquant se mesure à la longueur de sa barbe. Ceux qui suivent la sunna s'autorisent tout juste un bouc très discret taillé de très près. Les musulmans malais font très attention à leur look pour ne pas être confondus avec les intégristes de tous poils qui donnent une image dévalorisante et craintive de l'Islam. « Lorsque nous voyageons à l'étranger nous recevons des instructions de la part des autorités pour observer la plus grande discrétion dans notre façon de nous habiller et dans notre look afin d'éviter tout amalgame qui est fait sur l'Islam à l'étranger sur la base du seul paraître », nous confie un cadre malais qui considère que c'est une atteinte à la liberté de culte et à la pratique de la foi qui est un acte individuel le fait que l'on mentionne sur leur carte d'identité et passeports leur appartenance religieuse. « Cela nous cause beaucoup d'ennuis quand on voyage à l'étranger », fait remarquer un Malaisien de confession musulmane.
« L'intégrisme n'a pas d'avenir »
Les Malaisiens qui tirent leur principale richesse de l'industrie touristique ont compris très tôt que l'intégrisme religieux n'a pas d'avenir et ne sert ni Dieu ni les intérêts du pays. Un pays comblé par le ciel qui l'a gratifié d'un climat et d'une nature qui en font une destination de rêve pour touristes en mal d'exotisme, un paradis sur terre. « L'Islam est dans nos cœurs » nous a déclaré le vice-ministre du tourisme, Ahmad Zahid Hamidi, lors d'une conférence de presse en marge d'un « eductour » organisé en collaboration avec la compagnie Qatar Airways et destiné à faire découvrir la destination malaisie aux professionnels du tourisme du Proche-Orient et du Maghreb dont des représentants de tour-operators algériens publics et privés et des journalistes de ces pays. Pour mieux frapper encore les esprits, le vice-ministre du Tourisme n'a pas hésité à s'afficher à la tribune avec un animateur travesti lors de la cérémonie de clôture de cette manifestation économique. Il faut dire que les autorités malaisiennes font la distinction entre l'Islam religion d'Etat qui implique la prise en charge et la promotion de la pratique de l'Islam en tant que foi relevant de la sphère privée et Etat islamique régi par la charia. Les lois du pays transcendent en effet toute appartenance ethnique et religieuse étroite. Toutes les ethnies et toutes les confessions qui composent la société plurielle malaisienne s'y retrouvent. Si ailleurs les minorités sont brimées et exclues du pouvoir, en Malaisie on en a fait, au contraire, un facteur dynamique de développement économique et social mettant à profit cette richesse civilisationnelle pour tisser des liens privilégiés avec des pays et des peuples d'Asie, du monde musulman, de l'Inde avec lesquels les Malaisiens ont des affinités sur la base de la race ou de la religion. Nous nous sentons à la fois proches des musulmans et des Asiatiques, nous confie un Malais qui relève cette position privilégiée de la Malaisie rendue possible par son histoire et son identité plurielle d'avoir un destin universel. Les mots partage, ouverture, fraternité reviennent tels des leitmotivs dans la bouche des responsables malaisiens comme pour souligner qu'ils sont citoyens du monde avant d'être Malaisiens. D'ailleurs, la Malaisie est l'unique pays au monde qui n'exige pas de visas aux étrangers qui s'y rendent pour tourisme ou pour voyage d'affaires. L'étranger qui débarque dans ce pays se voit automatiquement délivrer sur place un visa de séjour de trois mois renouvelable. Pour celui qui voudrait s'y installer, il suffit d'en faire la demande et de satisfaire à certaines conditions très souples qui consistent à justifier de certaines ressources financières dont le montant varie selon qu'on est célibataire ou marié. Le montant pour les familles étrangères désireuses de s'installer en Malaisie est fixé à 150 000 ringits en monnaie locale (1 euro équivaut à environ 4 ringits).
Un modèle de tolérance
La veille des fêtes de Noël, les rues et les magasins de la capitale et des autres villes que nous avons visités étaient richement décorés de sapins et de guirlandes plongeant la pays dans une ambiance festive qui rappelle la célébration de Noël dans les capitales européennes. Le père Noël s'est même invité dans certains établissements très prisés par les touristes comme l'aquarium géant de Kuala Lumpur qui abrite plus de 150 espèces de poissons représentant tout ce que les fonds marins de la planète peuvent renfermer comme richesse halieutique. Déjà flamboyante, la Malaisie s'est illuminée de mille feux à Noël pour le plus grand bonheur des Malaisiens de toute race et de toute confession. C'est aussi le cas à l'occasion des fêtes musulmanes, chinoises et hindoues consacrées également jours fériés pour chacune des communautés. Ainsi durant toute l'année les fêtes religieuses se succèdent dans la joie et la fraternité sans que cela perturbe ni l'équilibre social ni le développement économique du pays. Evidemment, comme dans toutes les sociétés pluriethniques et multiconfessionnelles, il est faux de croire que le sentiment communautaire n'existe pas en Malaisie. C'est un réflexe naturel qui n'a pas cependant pas la même connotation que celle que renvoient d'autres pays confrontés au syndrome de l'intégration des communautés étrangères. Dans la capitale malaisienne, on peut trouver des quartiers entiers, avec des commerces et des immeubles d'habitations portant l'empreinte d'une seule communauté. Le Chinatown, véritable poumon commercial de la capitale avec ses échoppes de prêt-à-porter et d'articles de souvenirs et ses restaurants où le client peut déguster un plat typique chinois qu'il regarde mijoter sur un feu de braise sur les terrasses qui se confondent avec la chaussée en est le parfait exemple de ce melting-pot réussi. Le sentiment de ghetto n'existe pas. S'il existe, il n'a pas en tout cas la même ampleur qu'ailleurs où il est source de confrontation, de division et de haine raciale préjudiciables à la cohésion et à l'unité nationales. La Malaisie a tiré les leçons du passé qui avait failli en 1969 plonger le pays dans une guerre civile fratricide. Les barrières interethniques ont été levées à un point tel que les mariages intercommunautaires sont de plus en plus répandus. Nous avons ainsi rencontré un jeune Malaisien, Amar, d'origine hindoue, dont le père s'est converti à l'Islam après avoir épousé une femme malaise musulmane. Amar qui a fait des études de charia en Egypte ne semble pas outre mesure avoir subi l'influence des Frères musulmans à le voir aborder comme n'importe quel jeune de son âge des sujets tabous qui lui auraient valu 100 coups de fouet à Kaboul ou à Téhéran. Même si la Malaisie est un pays musulman et que l'Islam est religion d'Etat, les autres communautés pratiquent sans aucune contrainte de quelque nature qu'elle soit leur religion. La seule condition exigée pour la construction d'une église par exemple, c'est de s'assurer que son implantation ne présente pas de risque de trouble à l'ordre public et n'agresse pas les autres religions, nous explique-t-on. La Malaisie innove même dans la conception architecturale des mosquées. Sans son dôme, la grande mosquée de Kuala Lumpur ressemblerait à tout sauf à une mosquée. Ce lieu de culte est construit dans le plus pur style moderne empruntant aux gratte-ciel les larges baies vitrées et des formes brisées qui contrastent avec le style monolithique et traditionnel de nos mosquées. Evidemment, fort du poids démographique des musulmans les mosquées sont infiniment plus nombreuses que les églises et les temples bouddhistes.
Partage du pouvoir
Les Malais (Malaisiens de confession musulmane), qui ont le pouvoir politique tout en se montrant très ouverts aux autres ethnies qui composent la mosaïque de la population malaisienne et attachés à l'unité nationale, n'entendent pas négocier le statut de première force sociale, ethnique qu'ils occupent dans la pyramide démographique. Un atout stratégique qui propulse invariablement à chaque consultation électorale les musulmans au cœur du pouvoir. Si le rapport des forces démographiques venait à se renverser et que les musulmans étaient appelés à perdre leur suprématie au profit des Chinois qui représentent la seconde communauté ethnique du pays - ce qui relève à moyen terme de l'utopie au regard de l'écart très large qui existe entre les deux communautés - les musulmans accepteraient-ils les règles de l'alternance démocratique ? « Ce sera la guerre civile », lâche spontanément, sans réfléchir, un fonctionnaire malais. Constitutionnellement il n'y a aucun risque pour que soit remis en cause l'ordre institutionnel établi. Selon la Constitution malaisienne, le roi et le Premier ministre sont issus de la communauté malaise, donc de confession musulmane. La Malaisie est une monarchique constitutionnelle fédérale. Le roi Tuaniku Syed Sirajuddin Putra Syed Jamulullail dispose d'une autorité strictement morale dans le pays. Son palais situé en amont, sur la crête de la colline du quartier diplomatique et administrative de Petrajaya fait face au palais du gouvernement, siège de l'Exécutif situé en contrebas, au milieu d'un jardin d'éden et d'une végétation luxuriante qui se déploie à l'infini avec ses arbres exotiques où dominent le cocotier, le palmier et autres plantes tropicales toutes en fleurs et en senteurs. Bien que majoritaire aux dernières élections législatives de mars 2004, l'Organisation nationale pour l'unité des Malais (UMNO) - parti musulman à ne pas confondre avec le parti islamiste fondamentaliste malaisien - dirigée par le Premier ministre malais, Abdullah Ahmed Badawi, a été amenée en vertu des dispositions constitutionnelles sur le partage du pouvoir à associer dans les institutions du pays les autres minorités ethniques chinoise et hindoue à travers la constitution d'une coalition appelée Front national qui regroupe en plus du parti majoritaire sus-cité, le Mouvement des Chinois de Malaisie (MCA) et le Congrès des hindous de Malaisie (MIC). Le système politique malaisien est inspiré du modèle anglais. Le pays est administrativement découpé en 14 Etats fédérés. Lors des dernières élections législatives, le parti islamiste conservateur qui existe depuis l'avènement de l'indépendance du pays en 1957 n'a pu arracher qu'un seul Etat, celui de Kelantan, au nord-est du pays où le parti au pouvoir dans les institutions locales tente d'appliquer la charia. Beaucoup de touristes évitent de plus en plus cette région pourtant hautement touristique entourée d'îles vierges, confie un hôtelier.
Le syndrome de Kelantan
N'y a-t-il pas un risque de contagion islamiste des autres Etats fédérés ? Le vice-ministre du Tourisme s'est voulu rassurant sur cette question sur laquelle les Malaisiens, qu'il s'agisse des officiels ou des citoyens, se montrent très sereins. « Nous aussi nous avons nos fondamentalistes, mais nous n'avons pas de terroristes, nos islamistes ne sont pas violents », affirme-t-on. « Tant que la loi est respectée et que l'ordre public n'est pas troublé ou menacé, il n'y a pas de raison de sévir ou de nourrir quelque inquiétude que ce soit », ajoute-t-il. « La sécurité du pays est préservée et la vigilance est de mise autant à l'intérieur du pays qu'aux frontières en étroite collaboration avec les pays voisins pour préserver la stabilité politique et l'unité de la Malaisie », affirme le ministre du Tourisme. C'est avec une fierté non feinte que les Malais rappellent à leurs interlocuteurs étrangers surtout aux musulmans qui doutent de leur foi et de leur islamité parce qu'ils pratiquent un Islam tolérant, peu au goût des fondamentalistes, que la Malaisie en tant qu'Etat fait en matière de promotion et de défense des valeurs islamiques autant sinon plus que beaucoup de pays musulmans, y compris ceux qui se croient être les dépositaires de l'Islam. Le pèlerinage à La Mecque fait office de véritable institution. Le rêve et l'ambition de chaque Malais dès la naissance est d'accomplir un jour le pèlerinage aux Lieux saints. Les premières économies d'un Malais ou d'une Malaise sont destinées à réaliser ce projet spirituel. Les autorités malaisiennes ont mis en place les moyens les plus adéquats pour permettre aux Malais d'accomplir ce rite religieux dans d'excellentes conditions. C'est dans ce cadre que fut créée une compagnie aérienne spécialisée dans le transport des pèlerins. Cette compagnie est dotée d'une importante flotte de gros-porteurs. Comme autre preuve que la Malaisie n'est pas le mauvais élève ou le mauvais exemple du monde musulman comme on le lui prête à tort de leur point de vue dans certaines capitales musulmanes conservatrices et cercles intégristes, on cite aussi volontiers la participation du pays au concours de la récitation du Coran organisé annuellement par l'Organisation de la conférence islamique qui est vécu comme un événement majeur par la communauté malaise. S'il faut encore d'autres preuves pour convaincre qu'ils sont dans le droit chemin de l'Islam, les Malais ne manquent pas d'arguments pour vaincre le scepticisme de leurs interlocuteurs comme celui de rappeler la proposition faite lors du sommet de l'OCI qui s'était tenu en Malaisie de créer une monnaie musulmane pour favoriser l'intégration économique des économies et des peuples musulmans.


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