Dans une récente intervention, le ministre des Finances, M. Karim Djoudi, situait l'encours des réserves officielles de change du pays à 146 milliards de dollars à fin septembre 2009. Rappelons qu'elles avaient atteint 143 milliards fin 2008 et 110 milliards à la fin de l'année 2007. Bien qu'on ne dispose pas encore des chiffres définitifs pour l'année 2009, on peut s'attendre à ce que le rythme d'accumulation de ces réserves se ralentisse sensiblement. Après une période comprise entre 2007 et 2008 au cours de laquelle elles ont augmenté à un rythme supérieur à 30 milliards de dollars par an, le rythme d'accumulation des réserves de change devrait revenir à partir de 2009 à un niveau proche de 10 milliards de dollars voire légèrement inférieur. Ce ralentissement est la conséquence d'une part du reflux des cours pétroliers depuis la fin de l'année 2008 et d'autre part de l'augmentation de nos importations de biens et de services ainsi que des transferts réalisés par les investisseurs étrangers, notamment dans le secteur des hydrocarbures. Les prévisions sur l'évolution future de ces réserves est un exercice assez hasardeux. On peut néanmoins supposer, avec la plupart des analystes, que le décor planté en 2009 est en place pour quelques années. C'est par exemple l'hypothèse adoptée par un organisme américain dont les prévisions, citées par l'APS, ont été reprises voici quelques jours par la presse nationale. Selon l'institut IHS Global Insight, qui qualifie la santé financière de l'Algérie d'excellente et lui attribue le statut de “nation créancière nette”, les réserves de change nationales devraient continuer à augmenter pour s'établir à 168 milliards de dollars en 2010, 176 milliards en 2011, 185 milliards en 2012 et 191 milliards en 2013. Le niveau élevé atteint par les réserves de change qui sont depuis quelques années proches du PIB fait émerger de plus en plus la problématique de leur gestion comme un enjeu majeur. Bien que ce débat n'ait pas encore atteint le niveau qu'il mérite, une série de questions ont déjà été formulées publiquement proposées quelquefois par des responsables politiques et le plus souvent par des experts. On peut tenter de classer ces questions sous trois rubriques principales. La première concerne l'objectif poursuivi par la constitution de ces réserves. La deuxième est relative à la qualité de leur gestion et la troisième enfin se rapporte à la transparence de cette gestion. Des réserves de change pour quoi faire ? Pourquoi constituer des réserves de change d'un montant aussi considérable ? Cette interrogation n'a, pour l'instant, pas reçu de réponse complète de la part des autorités algériennes. les explications données ou les déclarations faites par les responsables en charge du secteur insistent en général ainsi que le faisait encore, voici quelques semaines M. Karim Djoudi sur le fait que “la capacité d'absorption de l'économie nationale étant encore faible, l'injection brutale d'une telle manne aurait généré une très forte inflation préjudiciable à la croissance”. Un autre type d'explication, utilisé par nos responsables économiques, consiste à mettre en avant la garantie que ces réserves financières apporte à la poursuite de la politique économique actuelle. C'est encore M. Djoudi qui souligne que “l'Algérie dispose d'une surface financière qui assure une fiabilité à la mise en œuvre de sa politique économique”. C'est le même type d'explication qui est utilisé le plus fréquemment lorsque nos responsables mentionnent le fait que ces réserves “représentent plusieurs années d'importation et nous protègent contre le risque de retournement du marché pétrolier”. On aura certainement noté que ces différentes explications semblent encore circonscrites dans une vision de court terme. Comme si les responsables économiques algériens n'avaient pas encore pris acte de l'existence de ces réserves de change comme d'un paramètre structurel de la situation financière du pays et comme s'ils doutaient de leur persistance à long terme. L'exemple le plus illustratif de cette démarche reste certainement le discours de présentation du programme de son gouvernement prononcé par M. Ouyahia devant les députés. Le premier ministre s'était, à cette occasion, livré à un intéressant calcul destiné à apaiser les craintes de la représentation nationale face à la baisse des cours pétroliers en expliquant en substance que “même avec un baril à 30 dollars, les réserves de change du pays nous permettent de financer nos programmes de développement pendant 5 ans”. On sent bien que ce qui manque encore ici, c'est la prise de conscience que ces réserves financières peuvent constituer une garantie non pas seulement pour le présent mais plutôt pour l'avenir. Pour l'instant aucun responsable algérien n'a encore suggéré, à l'image de la doctrine élaborée dans certains pays détenteurs de réserves importantes, que ces dernières doivent plus être considérées comme la propriété et une garantie pour les générations futures que pour la génération présente. Même si elle n'est pas formulée de façon explicite, cette idée n'est cependant pas absente du débat public national. Elle a pris dans la période récente la forme d'une contestation du rythme élevé, imprimé au cours des dernières années notamment, à l'exploitation des ressources de notre sous-sol. Dans la période récente, un nombre croissant d'experts nationaux se sont exprimés en faveur d'une révision à la baisse des objectifs de notre pays en matière d'exploitation des ressources de son sous-sol. Les arguments présentés consistent en substance à expliquer que l'Algérie doit s'efforcer d'adapter le rythme d'exploitation de ces ressources à ses besoins présents. D'autant plus que la rentabilité de nos placements financiers est très faible et certainement inférieure aux perspectives de valorisation de ces ressources à l'avenir. Les pouvoirs publics algériens ne sont, sans doute, pas insensibles à ces arguments et on peut voir par exemple dans la révision à la baisse des programmes de développement d'une pétrochimie très gourmande en ressources gazières un des premiers effets de cette évolution des esprits. Une gestion sécurisée Plus que leur opportunité, c'est la question de la gestion des réserves de change constituées par notre pays qui a le plus retenu l'attention des commentateurs au cours des derniers mois. M. Djoudi affirmait encore récemment : “La Banque d'Algérie pratique une gestion sécurisée des réserves de change du pays.” On a ainsi la réponse à une double question qui est celle de l'opérateur chargé de cette gestion et à celle de la nature de cette gestion qui constitue pour l'heure le noyau dur de la doctrine des autorités algériennes en la matière : la gestion sécurisée des réserves de change. C'est encore M. Djoudi qui précise le contenu de cette notion : “Les réserves de change de l'Algérie sont placées en actifs publics. les risques sont nuls parce que ce ne sont pas des risques de marché.” On aura compris que les réserves de change algériennes sont placées pour l'essentiel en bons du Trésor des principaux pays développés. Les autorités algériennes considèrent qu'il s'agit d'une gestion sécurisée dans la mesure où elles se retrouvent principalement créancières des Trésors publics de ces Etats, évitant ainsi le risque de défaillance d'un débiteur privé. La gestion des réserves de change algériennes est également réputée sécurisée en raison de la diversification des monnaies dans lesquelles sont libellés ces placements. La prédominance historique du dollar américain et le risque de dépréciation qu'il faisait courir à nos réserves ont récemment été corrigés par l'augmentation de la proportion des réserves nationales libellées en euros qui serait devenue aujourd'hui dominante. Pas de fonds souverain C'est aussi la recherche de la sécurité des placements qui est à l'origine du refus des autorités algériennes de créer un fonds souverain. Ce mode de placement de leurs réserves financières a été adopté par un nombre croissant de pays, producteurs d'hydrocarbures, notamment dans le sillage de l'augmentation des prix pétrolier. Il consiste essentiellement à créer un organisme chargé de prendre et de gérer des participations sous forme d'actions ou d'obligations d'entreprises le plus souvent étrangères. Les fonds souverains les plus importants ou les plus anciens, créés notamment par les pays du Golfe, des pays asiatiques ou nordiques, sont ainsi souvent associés aux résultats financiers de plusieurs milliers d'entreprises. La position des autorités algériennes dans ce domaine a été récemment confortée par les pertes subies par ces fonds à la suite de la chute des marchés boursiers qui a provoqué pour beaucoup d'entre eux une diminution de la valeur de leurs placements comprise entre 20 et 30%. Outre ce risque inhérent à leur gestion, l'absence d'une expertise nationale dans ce domaine est certainement, par ailleurs, un facteur qui continue de peser. Certains ont voulu voir néanmoins dans la création voici juste un an, du Fonds national d'investissement, l'embryon d'un tel instrument. Avec des ressources pour l'instant encore relativement limitées (150 milliards de dinars) et des attributions qui le destine prioritairement à l'investissement dans l'outil de production national, la parenté du FNI avec le modèle des fonds souverains reste cependant encore lointaine.