Quand, à l'appel du président Bouteflika, l'heure de la Concorde civile avait sonné en Algérie, pour Lounis Aït Menguellet, elle failli être celle de la discorde. De la rupture avec une partie du public mis en condition de brûler l'idole qu'il a adorée depuis plus de 30 ans. C'est un des moments les plus durs dans la carrière du poète. Invité comme personnalité à assister à un meeting du président de la République à Tizi Ouzou, le chanteur au verbe incandescent, mais à l'esprit apaisé, avait applaudi le chef de l'Etat. Comme presque toute la salle où les invités avaient été — certes — triés sur le volet. C'était une période où Abdelaziz Bouteflika, en père fouettard, avait tenu des propos très peu diplomatiques. Voire méprisants. Il avait parlé de “nains” pour les habitants d'une région qui a constitué l'avant-garde du mouvement nationaliste et des luttes démocratiques. Les caméras de l'ENTV avaient capté ce moment où Lounis applaudissait sans dissimuler un certain malaise. Intuition, car ce moment lui vaudra un déchaînement de critiques inouï. La discorde à l'heure de la concorde. Lounis imprimera cette douleur dans une chanson au titre peu énigmatique de “Dhiriyi” (Je suis mauvais). Incrédule face à ce cauchemar, Lounis assume et réplique de manière cinglante à “ceux qui jouissent du mal qu'ils sèment”. “Si je suis du côté des justes, si ma parole est vérité, si je veux que le soleil brille, alors que je suis mauvais”, conclut-il. Dix ans après cette épreuve, Aït Menguellet garde la même analyse. “Pour certains, je suis toujours mauvais et pour d'autres, je ne l'ai jamais été”, a répondu Lounis, interrogé lors d'une conférence de presse à Paris à quelques jours de son concert avec Akli Yahiatène au palais des Congrès. Ces nouvelles retrouvailles avec le public interviennent alors que le chanteur se prépare à éditer un nouvel album composé de six chansons. L'une est un hommage à Lounis lui-même composé par Si Mouh et Djafar, le fils qui a réussi à convaincre définitivement son père de la nécessité d'un travail musical. Plutôt poète, Lounis a toujours veillé à ne pas distraire son public et à ne pas noyer son message dans les arrangements musicaux. Désormais, il sait qu'il peut concilier les deux. Mais il ne faut surtout pas attendre de lui un discours politique. Il n'a aucune vocation à cela. Et si l'Algérie souffre, il préfère l'observer à partir de son lit de doux rêveur. Car ses rêves ne sont qu'optimisme. Et l'Algérie, Lounis l'a dans le cœur. En jeteur de passerelles, il a un seul regret : que le public arabophone ne comprenne le kabyle “qui est aussi sa langue et une partie de sa culture”. Sur la scène du palais des Congrès, Lounis va donc joindre sa voix à celle d'Akil Yahiatène. L'auteur du légendaire El-Manfi, hommage aux émigrés algériens traqués par la police française pendant la guerre d'indépendance, s'était produit sur la même scène en 1963. Avec Nora, Khelifi Ahmed, Rabah Driassa et Dahmane El-Harrachi. À près de 80 ans, Akli a la vigueur d'un jeune homme fringant. S'il souffre aujourd'hui, c'est de ne pouvoir créer par crainte du piratage. Présent à la conférence de presse, le patron de BRTV Mustapha Sadi a salué les deux artistes en lesquels il a vu des “points de repère” dans la quête identitaire algérienne. Pour le producteur du spectacle, le concert est un “moment exceptionnel”.