L'initiative de loi sur la criminalisation du colonialisme, mise en off depuis quelques semaines, va de nouveau s'inviter dans le débat politique en ajoutant, à coup sûr, sa part de vagues. Le gouvernement doit, en principe, donner sa réponse ces jours-ci, car le délai légal fixé par la loi régissant les relations gouvernement/Parlement est de deux mois à compter du jour de dépôt. Le projet est remis par le président de l'Assemblée au Chef du gouvernement le 28 février dernier. Soit deux mois pile-poil aujourd'hui. “Le texte suit son cours normal avant d'être soumis à adoption”, avait répondu mardi Abdelaziz Belkhadem sans donner plus de détails. Et le fait d'avoir été si peu disert et surtout si imprécis dans sa réponse est signe que le chef du FLN, à qui le président Bouteflika aurait reproché de s'être fait griller la politesse dans cette affaire, éprouve quelque gêne à évoquer cette question hypersensible. Moussa Abdi, le député qui est à l'origine de cette initiative de loi signée aussi par 125 parlementaires, cherche visiblement à calmer le jeu en prenant ses distances vis-à-vis de son collègue de Nahda, Mohamed Hadebi, qui menaçait mardi dans la presse de “riposte” le gouvernement, en cas de réponse négative. “Il fait de l'excès”, se démarque-t-il en ajoutant dans sa déclaration, hier à Liberté, que “les grands partis politiques observent le silence”. Cela étant, Moussa Abdi croit savoir que “le gouvernement répondra positivement ; il y aura ensuite un débat à l'Assemblée pour enrichir et amender le texte”. Des propos empreints de mesure dictée par la sensibilité de la question qui pose en creux toute la problématique des relations algéro-françaises, au moment où elles connaissent encore une phase de crispation. En tout cas, du côté français, on reste à l'écoute. Le président de l'Assemblée, au moment de la remise du texte au gouvernement en février, avertissait déjà que “l'adoption du projet dépendra de la circonstance et de la conjoncture dans lesquelles nous serons à ce moment-là. Le gouvernement dispose de deux mois pour répondre positivement ou négativement (…) Sa marge d'appréciation est importante”. C'est dire toute la pression qui pèse sur le gouvernement. Car quelle que soit sa réponse, elle aura fatalement des implications qui pourraient chercher très loin. Les députés de Nahda et du MSP, toujours prompts à s'allumer quand il s'agit de décliner leur patriotisme, ont annoncé déjà la couleur en parlant de “protestations” et “d'actions sur le terrain” en cas de refus. La Fondation du 8-Mai 45 va plus loin. “Faire dans la démesure équivaut à une forme de concession au profit d'un néocolonialisme en marche. Le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale depuis plus de deux mois, et qui a reçu l'adhésion de plus de 125 députés et l'approbation du bureau, ne souffre en réalité d'aucune ambiguïté pour être encore renvoyé aux calendes grecques”, indique-t-elle dans son communiqué daté du 24 avril. Pour l'association fondée par Bamaza, la problématique se décline carrément en termes shakespeariens : “être ou ne pas être algérien” et tout rejet de la proposition serait assimilé à de la trahison. D'où le risque pour Ahmed Ouyahia, en sa qualité de Premier ministre, dont pourtant le patriotisme est au-dessus de tout soupçon, d'essuyer des plâtres en cas de réponse négative. Surtout que, au moment où l'initiative était lancée, il avait fait montre d'une certaine méfiance quant aux intentions réelles des signataires. Mais derrière le Premier ministre, il y a l'ombre du président Bouteflika. Tout le monde sait que tout ce qui relève des affaires étrangères, et singulièrement des relations algéro-françaises, est de son ressort exclusif. Toutes ces parties qui sont à l'affût, pour des raisons qui ne sont pas toujours celles qu'elles proclament, seront satisfaites s'il leur donne son feu vert. Sauf qu'une telle démarche aura un retour de manivelle immédiat qui sera de plomber toute perspective de réchauffement des relations avec Paris. Des relations importantes, comme conviennent à le souligner les responsables politiques algériens. Mais sans pour autant passer à l'as le devoir de mémoire. La revendication du devoir de mémoire par l'Algérie aura certainement plus de poids si toutes les autres ex-colonies s'associent à la démarche. Lors de sa visite à Alger, le président du Viêt-nam a été “sondé”. Sa réponse était plutôt mitigée. Il est vrai que la constitution d'un front des ex-colonies pour demander des comptes à la France sur son passé colonial relève quasiment de l'utopie, tant les intérêts des uns ne sont pas ceux des autres.