Une Femme en colère. Lettre d'Alger aux Européens désabusés est le dernier livre de Wassyla Tamzali, ancienne avocate à Alger et ex-directrice des droits des femmes à l'Unesco. L'essai de 150 pages, publié en 2009 aux éditions Gallimard (France) et réédité cette année aux éditions Sedia (Algérie), est d'une actualité saisissante, puisqu'il se penche sur nombre de sujets sensibles relatifs à la religion, à l'islamisme, au relativisme culturel, à la liberté de conscience, au féminisme, à la modernité et aux droits de l'homme. Il intervient dans un contexte de polémique qui fait rage en Europe et qui, selon l'auteure, “s'apparente étrangement à une guerre des religions”. Née en 1941, Wassyla Tamzali, une Franco-Algérienne, se classe parmi les personnes éprises de liberté qui n'hésitent pas à engager “un combat contre la culture, les traditions, les mœurs politiques de leurs sociétés quand elles s'opposent à cette liberté”. C'est à la fois en tant que femme appartenant à “une société de tradition musulmane”, “laïque et libre penseuse”, “innomée” et militante féministe, qu'elle s'explique dans ce livre. Elle exprime surtout sa colère contre une partie des intellectuels et féministes européens, notamment en France, qui s'est battue pour l'universalité des droits de la personne humaine, en lui reprochant de rendre plus difficile encore le combat pour l'égalité des sexes en terre musulmane. Les Algériennes, observe-t-elle, sont désormais désignées, presque toujours, sous le vocable de “femmes musulmanes”, un vocable remplacé peu à peu par celui de “femmes arabes”, aussi rudimentaire et réducteur. Par ailleurs, l'auteure d'une Education algérienne (éditions Gallimard, 2007) passe au crible les notions de “tolérance”, “laïcité ouverte”, “islam modéré”, “droit à la culture des femmes”, “realpolitik”… Elle regrette que le discours religieux ait envahi l'espace public, mais tient à rappeler que la laïcité n'est pas le respect de toutes les religions, mais celui avant tout de la liberté de conscience. Le livre de Mme Tamzali aborde également la situation des femmes dans les pays musulmans. Il note, entre autres, l'avancée de “la culture du harem (qui) a pris possession de la rue”, ainsi que la mise en œuvre de moyens pour l'“endoctrinement sur l'infériorité des femmes”. Pour l'auteure, le voile est vécu par les Maghrébines, notamment les intellectuelles, beaucoup plus comme “un rempart contre la violence sexiste, symboliste ou exprimée”. D'où la nécessité, selon elle, de s'appuyer sur la laïcité, car elle seule “peut renverser les rapports d'oppression dont souffrent les femmes et les hommes dans les sociétés musulmanes”, et “conduire à l'émergence d'une conscience moderne musulmane”. Wassyla Tamzali plaide en outre pour une réflexion autour de la dualité musulman/laïc et libre penseur.Une femme en colère. Lettre d'Alger aux Européens désabusés est le regard d'une femme accomplie, qui puise dans son expérience personnelle, dans les différentes facettes de son identité et de ses souvenirs, dans ses rencontres et ses échanges multiples. Parfois, l'auteure use d'expressions très fortes, telles que “guerre des cultures”, “affrontement entre un monde qui est resté plongé dans le sacré et un monde qui est sorti du religieux”, “rencontre tectonique”, “innomée”, comme si elle cherche à marquer les esprits, sinon à réveiller une certaine conscience engourdie ou en pleine élaboration. Parfois aussi, ses positions politiques transparaissent sur des sujets précis. C'est le cas particulièrement de la décennie sanglante en Algérie que Wassyla Tamzali tente de confiner dans une sorte d'exorcisme de la violence “qui est en nous” et dans la justification de “l'âpre course au pouvoir” (page 23). Sans faire référence aucunement à la dangerosité de l'islamisme politique, aux calculs géopolitiques, au soutien et/ou au financement par certains pays, européens compris, de terroristes islamistes algériens, et à cette facilité à accorder, à ces derniers, l'asile politique. Qu'on l'aime ou pas importe peu, car le livre de Wassyla Tamzali touche du doigt des sujets d'actualité qui, pour la plupart, sont évacués trop hâtivement ou restent encore du domaine tabou en Algérie.