À J-2 du palmarès, la tension monte, les spectacles s'enchaînent, les comédiens se déchaînent, mais la course pour le titre ne se précise pas encore, tant le niveau des représentations est proche. Le Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi a raté le coche avec sa pièce Nouzha fi ghadab, qui manque de maturité, malgré la belle prestation de jeunes comédiens qui se sont surpassés. Le Théâtre régional de Béjaïa a célébré le théâtre de l'absurde et Eugène Ionesco avec la [re]mise en scène de la pièce Rjal Ya Hlalef, montée pour la première fois en 1989 par Malek Bouguermouh et adaptée par Omar Fetmouche d'après l'œuvre Rhinocéros. Ce dernier a signé la mise en scène de cette réactualisation de Rjal Ya Hlalef, qui se veut un hommage à l'ancien directeur du TRB. Mêlant les formes et les genres, la pièce traite de la thématique de la corruption ; elle se veut comme une critique des comportements humains. Truffée de messages sociopolitiques, Rjal Ya Hlalef plante le décor dans une ville ébranlée par une grave maladie : “le haloufisme”, car les hommes se transforment en porcs. Dans l'allée principale de la ville, les spectateurs font la connaissance des personnages, fantasques et archétypaux, notamment l'intellectuel démocrate qui a une petite… grande passion pour la bouteille, le garçon de café crédule, la femme d'un haut fonctionnaire enceinte qui pleure son chat écrasé par un porc, le religieux, la journaliste qui filtre l'information à l'aide d'une passoire et El Boudjadi. L'incompréhension cède peu à peu sa place à la curiosité, avant que les habitants ne finissent par céder totalement à la nouvelle tendance du “haloufisme”. Les protagonistes choisissent de se transformer, d'adopter cette nouvelle idéologie. Cependant, El Boudjadi, sa collègue Dalila et le petit Omar échappent au haloufisme et gardent leur forme humaine. Rjal Ya Hlalef développe, par le biais de situations grotesques, une critique du fléau de la corruption. La mise en scène d'Omar Fetmouche a été traversée par quelques moments difficiles, notamment dans la mise en place des comédiens sur scène et leurs déplacements. Le montage vidéo, la projection à la fin du spectacle, la sortie des comédiens par l'entrée principale de la salle Mustapha-Kateb (sans doute pour créer un effet de distanciation), ont été de belles tentatives mais aucunement laborieuses. Il est clair que le TRB s'inscrit dans une démarche théâtrale assez intéressante en mettant en évidence une esthétique visuelle, et en axant la quasi-totalité de son travail sur les éléments distractifs à l'exemple de la chorégraphie et du chant, mais cela a dilué le propos pertinent de la pièce. Les comédiens, très nombreux mais peu complices, ont échappé à leur metteur en scène, ce qui a altéré le rythme, le rendant parfois monotone, voire hypnotique, même si l'effet de surprise était toujours là pour faire redémarrer la machine. Le TRO ressuscite Roblès Farid Cherchari dans le rôle d'El Boudjadi a manqué de charisme et de crédibilité. Son malaise sur scène et sa manière de dire son texte en marquant des temps d'arrêt et en comptant dans sa tête pour rebondir étaient largement perceptibles. L'acteur principal est malheureusement passé à côté de son personnage complexe. La cantatrice Mounia Aït Meddour a porté le spectacle par sa voix exceptionnelle, Belkacem Kaouane n'a, de son côté, pas manqué de présence. Le résultat final aurait été intéressant si l'adaptation avait été retravaillée, car, rappelons-le, le texte date de 1989. En plus de la thématique qui tombe en désuétude, la pièce manque d'originalité et ressemble dans sa chronologie à une autre production du TRB, qui date cette fois de l'an dernier, les Vigiles. Avant-hier soir, le Théâtre régional d'Oran a rejoint la compétition avec la pièce la Fenêtre, une adaptation de Brahim Hachemaoui d'après le texte éponyme, paru dans le recueil un Château en novembre (1984) d'Emmanuel Roblès. La Fenêtre, c'est une histoire d'amour entre deux êtres : Claire Saint Pier et Djamel, mais c'est aussi une passion pour un pays et une lutte acharnée pour une cause. Claire est belle et solitaire. Blessée à la jambe dans un accident, elle regarde le monde à travers sa fenêtre qui donne sur une prison. Elle laisse Djamel s'introduire chez elle et lui offre son cœur. Mais les desseins de celui-ci sont autres que de la conquérir et de filer le parfait amour avec elle. C'est un fidaï qui participe à une opération d'évasion. Djamel se réfugie chez Claire et celle-ci finit par lui sauver la vie, non en adhérant à sa cause mais parce qu'elle l'aime. Mise en scène par Abbas Islam Oussama, la pièce traite du sacrifice et tend à rendre hommage aux étrangers qui ont aidé à la libération des peuples colonisés. Cependant, la manière de traiter le sujet est dangereusement naïve. Le metteur en scène a réussi à créer parfois de jolies situations, mais qui ne tiennent pas en haleine de bout en bout. Malgré la jolie complicité entre les comédiens, un grave problème de rythme s'est posé. Le décor était classique, mais il est aussi basique et sans grande créativité. Taos Khazem (Claire Saint Pier) a bien interprété son rôle, n'était ses problèmes d'articulation car elle ne parlait pas couramment l'arabe avant ce spectacle. Mohamed Ibedri et Samir Bouannani ont été moins convaincants, puisque le premier a transformé son personnage en un être fébrile, froussard et peu sûr de lui ; et le second s'est contenté de se reposer sur ses lauriers et de basculer parfois dans la comédie, avec une gestuelle improbable et mal appropriée. La Fenêtre manque encore de maturité et de travail, car elle mérite plus d'application et même d'implication.