Mouffok était en compagnie des deux victimes quand une voiture de police a foncé sur eux, le 4 juin dernier à Luton, et les a tués sur le coup. Une instruction judiciaire a été ouverte à la suite de l'accident qui a eu lieu près de Londres le 4 juin dernier et qui a coûté la vie à deux anciens judokas algériens, Sid Ali Mellal et Réda Lacheheb. Les victimes, âgées respectivement de 27 et 35 ans, ont été percutées par une voiture de police. Une audience préliminaire dans cette affaire était programmée, hier, dans la matinée au tribunal de Luton. La ville où les deux Algériens ont trouvé la mort. La police des polices (Independant Police Complains Commission) a déjà entamé ses propres investigations en interrogeant les témoins de l'accident. Deux compatriotes étaient en compagnie des victimes au moment des faits. Le premier est Djamel, le cousin de Réda Lacheheb. Il est arrivé au Royaume-Uni, il y a une quinzaine de jours. Le second, Mouffok, est un ami des judokas avec lequel il travaillait et partageait le même logement. Contrairement à ce qui a été avancé au lendemain de l'accident, les victimes n'étaient pas en vacances en Grande-Bretagne. Elles séjournaient sans papiers, dans le pays, depuis 2006. Avant de tenter l'aventure anglaise, Réda et Sid Ali faisaient partie de l'équipe de judo du Mouloudia d'Alger. Mais le sport ne compensait pas leur manque de perspectives professionnelles. “Nous ne serions pas venus ici si notre pays avait fait quelque chose pour nous retenir”, observe Mouffok. Il a survécu miraculeusement à l'accident. Vendredi, peu avant minuit, le groupe d'amis venait de quitter un restaurant se trouvant à quelques encablures de leur domicile. Réda Lacheheb avait invité ses colocataires à dîner, pour célébrer l'achat d'un appartement à Bab El-Oued, le quartier de son enfance. Cette nuit-là, ses parents avaient organisé une cérémonie à Alger, pour fêter l'événement. “Réda était content d'avoir fait cette acquisition. Il était l'unique soutien de sa famille”, relate Mouffok. Détenteur d'un diplôme de technicien supérieur en sport, le judoka travaillait dans une compagnie de catering, spécialisée dans la préparation de sandwichs, pour gagner sa vie. Il était loin d'imaginer que la mort allait le surprendre, juste au moment où il commençait à sortir la tête de l'eau. La soirée était paisible quand Réda et ses invités quittent le restaurant. Ils doivent marcher environ 15 minutes pour arriver à leur appartement. Une fois dehors, le groupe d'amis traverse la chaussée et se retrouve sur le trottoir d'en face, à contre-sens de la circulation automobile. Par conséquent, il ne voit pas les véhicules qui arrivent par derrière. “Nous avons marché deux mètres à peine quand nous avons entendu le bruit d'un crash”, relate Mouffok. Djamel, le cousin de Réda Lacheheb, et lui sont relativement à l'abri, car, contrairement aux victimes, ils ne se trouvaient pas à proximité de la chaussée. Djamel est effleuré par la voiture de police, qui percute violemment les judokas et les tue sur place. “Réda a été touché à la tête, Sid Ali a eu une hémorragie interne”, révèle Mouffok. Avant de foncer sur les deux Algériens, le véhicule de marque Vauxall-Zafira de la police entre en collision avec la voiture d'un particulier, une Toyota Celia, puis dérape et monte sur le trottoir. Selon Mouffok, la voiture roulait à vive allure, à 100 ou à 120 kilomètres/heure. Le conducteur de la Toyota Celia corrobore cette information. Il se trouvait dans une intersection entre Leagrave Road et Holland Road, et s'apprêtait à tourner. En arrivant à son niveau, les policiers allument précipitamment le gyrophare. Il s'affole et répond par un coup de frein sec. De leur côté, les policiers n'ont pas le temps de ralentir. S'ensuit la collision qui précipite la Vauxall Zafira sur le trottoir où se trouvent les victimes et leurs amis. Après avoir tué Lacheheb et Mellal, le véhicule poursuit sa course folle en défonçant les murets de quelques maisons mitoyennes puis s'immobilise à l'entrée de l'une d'elle. “Tout s'est déroulé très vite, quelques secondes tout au plus”, confie Mouffok. En colère, le rescapé dénonce la célérité avec laquelle les services de l'ordre ont voulu camoufler la bavure, en assurant que les policiers responsables du drame ont mis en marche la sirène de leur véhicule. “Hormis le bruit de la collision, nous n'avons rien entendu”, atteste Mouffok. Il a insisté sur ce détail lors de son audition par les enquêteurs. Selon la version de leur hiérarchie, les policiers avaient répondu à un appel d'urgence. Le drame a mis en émoi toute la population de Luton. Ce n'est pas la première fois que les services de sécurité de la ville se rendent coupables d'un accident de cette nature. Il y a quelque temps, un piéton d'origine bengalaise et une retraitée anglaise ont été percutés violemment par des véhicules roulant à vive allure. Un comité a été mis en place après la mort des deux Algériens pour demander des comptes à la police. En l'absence de leurs parents, les amis et les cousins respectifs de Réda Lacheheb et de Sid Ali Mellal sont les interlocuteurs des enquêteurs. Des agents des services consulaires algériens se sont déplacés lundi dernier à Luton pour s'enquérir de l'affaire et apporter leur soutien aux rescapés. Mais Mouffok craint que leur rôle ne se limite à de “la paperasse”. Le consulat doit en particulier prendre des dispositions pour le rapatriement des corps des victimes. Les anciens judokas sont morts loin des leurs et de leur pays.