“Mille et une news”, la deuxième édition des soirées du journal Algérie News, a rendu un vibrant hommage au chercheur algérien M'hamed Boukhobza, dans la soirée du mardi au mercredi. La rencontre, rehaussée par la présence notamment de la veuve et des deux enfants de l'éminent sociologue, a donné l'occasion aux différents intervenants, principalement des amis et des universitaires, de rappeler le travail scientifique entrepris par le défunt et les qualités de ce dernier, mais également d'aborder l'état actuel de l'université algérienne en particulier et de la société en général. D'après Naceur Bourenane, socioéconomiste et ex-chercheur à l'Association algérienne de recherches démographiques, économiques et sociales (Aardes), nous sommes dans “une situation paradoxale”. “Aujourd'hui, j'ai l'impression que la base intellectuelle s'est élargie, mais je suis frappé par la médiocrité et par le caractère primaire et primitif des analyses”, a déclaré l'ancien collègue et ami de Boukhobza, en se demandant quel type de questions le défunt se serait-il posé s'il était encore vivant. M. Bourenane a, en outre, essayé de “caractériser” l'auteur de L'agropastoralisme traditionnelle en Algérie, Ruptures et transformations sociales en Algérie et Octobre 88 : évolution et rupture, assassiné en juin 1993, à l'âge de 52 ans. On apprendra ainsi que M'hamed Boukhobza était “quelqu'un de très ponctuel dans son travail”, qu'il “se consacrait à sa famille”, qu'il “respectait la différence des autres” et que la “religiosité était plus intérieure” pour ce musulman pratiquant. Naceur Bourenane a également tenu à témoigner du passage de Boukhobza à la tête de l'Aardes, de sa capacité de créer un espace de réflexion et de production, tout en encourageant et en faisant confiance à de jeunes diplômés, dont lui-même faisait partie à l'époque. De son côté, le sociologue Aïssa Kadri a évoqué “l'évolution des sciences sociales”, surtout la constitution d'une “recherche proprement algérienne”, ainsi que le rapport des intellectuels nationaux à l'état et à la société. Selon lui, l'itinéraire de Boukhobza, cet homme “lucide et de terrain”, dont les qualités intellectuelles sont reconnues à l'étranger, traduit bien cette évolution, à savoir notamment “l'échec de l'autonomisation du champ intellectuel” par rapport aux champs politique et social et “l'impasse des sciences sociales ou leur instrumentalisation par l'état, à partir des années 70”. Pour l'intervenant, c'est bien l'état qui va être alors au centre des analyses de Boukhobza. Plus loin, M. Kadri a déploré le fait que le travail du défunt soit “peu diffusé”, en soutenant avec force : “L'hommage qu'on fera au défunt est de poursuivre ses travaux et relancer la recherche de terrain.” D'autres participants sont intervenus pour interroger la réalité d'aujourd'hui et mesurer la distance séparant la génération de Boukhobza de la nouvelle génération, les uns en portant un regard pessimiste, les autres de façon optimiste. “Nous ne pouvons pas dire aujourd'hui qu'il y a une université en Algérie. Nous sommes devenus un village coupé de ce qui se passe dans le monde”, a affirmé le sociologue Omar Lardjane. Mais, le plus inquiétant pour ce dernier, “c'est que la communauté universitaire ne semble pas consciente de cela”. De plus, ajoutera-t-il, “ceux qui dirigent le pays n'ont pas besoin de la science pour gérer (Le Pays, ndlr)”.