“Je ne suis pas bien !” (ana lastou bikheïr), ceci est le titre d'un recueil de poèmes écrit en arabe par le poète algérien Adel Sayad. Sans demander la permission de son “propriétaire” intellectuel, j'ai volé ce titre : “Je ne suis pas bien !” En ces jours de deuil, cette expression me va bien. Le penseur polémique, Mohammed Arkoun, est mort. Certes, les gens ont la liberté de choisir leur lieu de vie et leur lieu d'enterrement. Mais sont chanceux ceux qui ont le pouvoir de vivre là où ils le souhaitent et être enterrés là où ils le désirent. Et Mohammed Arkoun est chanceux ! Je n'ai aucune rancune, ni aucune animosité envers le Maroc, sa terre d'enterrement. C'est un pays où j'ai beaucoup d'amis écrivains et intellectuels, commençant par Abdellatif Laâbi, en passant par le romancier, philosophe et ministre de la Culture, Bensalem Hammich, le poète Mohammed Al-Achaâri, Hacène Nadjmi, Ahmed El-Madini et bien d'autres… Mais je ne vous cache pas : je suis triste et en colère en même temps de voir la dépouille d'un fils amazigh du Djurdjura, adoptif d'Oran, enseveli dans la terre de Casablanca. Peut-être non loin de la tombe, d'un autre exilé, celle du grand maître de la musique andalouse, Radawane Bensari, peut-être non loin d'une autre tombe d'un autre grand poète algérien, Djamal Eddine Bencheikh ! Je suis en colère parce que le choix de la dernière terre de repos par Mohammed Arkoun n'est pas un acte fortuit. Avant lui, c'était l'autre Mohamed, je nomme : Mohammed Dib. Lui a préféré être enterré dans le carré des musulmans d'un cimetière de Paris, selon son testament ! Demain ce sera le tour d'Assia Djebar, de Yasmina Khadra, de Mourad Bourboun, de Rachid Boudjedra, de cheb Khaled, etc. Quelles sont les raisons qui ont poussé Mohammed Arkoun à choisir la terre marocaine pour son sommeil éternel ? La mort n'est pas un voyage touristique ! Permettez-moi de vous délivrer ma lecture personnelle de ce choix d'enterrement. Deux facteurs, sans doute, ont poussé Arkoun à faire ce choix : primo, Arkoun vivait, depuis les années quatre-vingts du siècle dernier, un malaise intellectuel envers l'université algérienne et l'ensemble des intellectuels de son pays. Il se sentait étranger dans sa terre natale, une sorte de “créature” étrange parmi les membres de sa tribu intellectuelle ! Il fut marginalisé, oublié et diabolisé par les cercles intellectuels, généralement dominés par l'esprit rétrograde et islamiste. Lui, qui défendait l'arabe comme langue des lumières et défendait les siècles des lumières arabo-islamiques, fut le moutazilite moderne. Il fut frère spirituel d'Abou Hiyyane Attawhidi, passionné de Miskawayh, d'Averroès (ibn Ruchd) et Maïmonide (ibn Maymoun). À ma connaissance, aucune thèse, digne de ce nom, n'a été soutenue sur les écrits d'Arkoun, dans toutes les universités algériennes. Je ne suis pas bien ! A. Z. [email protected]