Loin des feux de la rampe, inlassablement, ils œuvrent dans la discrétion. Organisés en clubs, selon un mode de fonctionnement établi depuis des décennies, ils multiplient, sans tapage, les actions de bienfaisance. À leur actif, plusieurs actions humanitaires. Leur devise en un mot : la philanthropie. Que des catastrophes naturelles viennent à semer le désespoir, que des patients souffrants aient besoin d'assistance ou de jeunes en quête de perspective, ils sont toujours là, prompts à apporter leur contribution, même si souvent elles ne sont pas visibles. Accusés sans doute à tort d'appartenir à la franc-maçonnerie, cet ordre initiatique avec ce que cela suggère comme insinuations sous-jacentes, ils s'en défendent et continuent à œuvrer, sans contrepartie, pour le bien-être et le bonheur de leurs semblables. Rien de plus emblématique que les progrès réalisés dans l'éradication de la cécité dans le monde ou encore, ici, en Algérie, la construction en 2003 d'une école à Boumerdès. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Et pourquoi suscitent-ils la méfiance, particulièrement chez les islamistes auxquels ils disputent, malgré eux, le terrain social ? Eux, ce sont les Lions Club International et le Rotary. Organisations nées à Chicago, capitale de l'Illinois, aux Etats-Unis, au début du siècle dernier, elles ont leurs clubs à travers de nombreux pays dans le monde dont, bien entendu, l'Algérie, où ils sont présents depuis des décennies. Même si le premier club des Lions remonte au début des années cinquante, du temps de la période coloniale, ils n'ont commencé à activer, sans contrainte, que depuis l'ouverture démocratique au début des années 1990. Caractéristiques de ces clubs : ils sont ouverts aux gens au statut social établi qui ne sont pas dans le besoin et dont le rôle principal est de s'investir activement en faveur de la communauté. “L'association (Lions club, ndlr) est ouverte aux gens stables. Notre démarche est de regarder vers les gens qui ont en besoin”, explique Abdelmoumen Boumaza, membre d'un club. En Algérie, ils sont quelque 500 membres pour une trentaine d'associations. Chaque mois, le club organise son AG. Et l'un des principaux programmes des Lions Club reste incontestablement la lutte contre la cécité, appelé Sight First, “la vue d'abord”. “Du début des années 1980 jusqu'à 2000, on a pu réduire les victimes de cécité sur le monde de 35 millions à 15 millions, ces derniers étant incurables”, se réjouit M. Boumaza. Sur le site de l'organisation, on relève d'ailleurs que l'éradication de la cécité figure en bonne place parmi ses missions. “En organisant des dépistages des troubles visuels, en équipant des hôpitaux et des cliniques, en distribuant des médicaments et en mettant en place des campagnes de sensibilisation aux maladies oculaires, les Lions œuvrent pour mener à bien leur mission qui est de donner la vue à chacun.” À l'horizon 2015, on ambitionne d'ailleurs d'éradiquer la cécité des rivières. “Nous avons opéré des millions de patients atteints de cataracte”, soutient-il encore. Mais il n'y pas que ça : les Lions Clubs offrent aussi des cannes blanches, des chiens guides et des ordinateurs en braille. En Algérie, ils ont inscrit à leur tableau de chasse de nombreuses actions : il y a quelques mois, ils ont offert une centaine de lunettes pour des malvoyants à Frenda et 13 ordinateurs en braille à l'école d'El-Achour. Des rétinographes accompagnés de lasers ont été offerts également à plusieurs établissements de santé à travers le pays dont la maison de diabète du Ruisseau, Constantine, Oran, Ouargla et prochainement Annaba et Djelfa. Reliés à l'hôpital Maillot de Bab El-Oued, ces appareils permettent d'établir un fichier des maladies de tous les patients auscultés. “C'est le seul programme en 2009 pour lequel la fondation, la maison mère si l'on peut dire, a décidé de son financement intégral”, se félicite M. Boumaza. D'autres programmes sont en chantier dont la mise en valeur du patrimoine et le soutien aux jeunes. “On veut aider les jeunes à monter des projets à long terme. Nous, on ne fait pas de la charité”, précise notre interlocuteur. Mais comme toute association active, des soupçons, alimentés souvent à dessein par leurs détracteurs, pèsent sur leur financement. À cette question, l'ancien gouverneur, (un gouverneur est président d'un district, un ensemble de clubs au niveau d'un pays), se veut catégorique : “On sollicite des sponsors et on cotise à l'association internationale dans un compte BEA.” “On est transparent”, assure-t-il. Lors du dernier séisme qui a touché Haïti, ils ont ainsi pu offrir la bagatelle de 25 000 dollars. Comme pour lever les appréhensions et assurer de la crédibilité dont jouit l'association, M. Boumaza rappelle que l'association internationale dispose d'un siège d'observateur à l'ONU et que son président, en visite en Algérie en 2003, a été reçu par le président de la République. Des figures illustres et cadres de la nation font partie des Lions Club, à titre d'exemple, l'actuel ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière et de la Population, Djamel Ould-Abbès, fut le fondateur du premier club à Aïn Témouchent. “Le fait qu'on n'accepte pas n'importe qui, fait qu'on nous accuse de caste et de franc-maçonnerie”, soutient M. Boumaza. Quand le Rotary inquiète les islamistes Comme pour les Lions Clubs, le Rotary International se veut une association de clubs du monde entier, de membres issus des milieux d'affaires et des professions libérales qui se consacrent à l'action humanitaire, encouragent l'observation de règles de haute probité dans l'exercice de leur profession et promeuvent l'entente entre les peuples, tel qu'ils se définissent. Le premier club en Algérie remonte à 1930. Et les Algériens ne l'ont intégré qu'à l'Indépendance. Mais ce n'est qu'en 1991, qu'il a eu son agrément. À ce jour, on compte 14 clubs Rotary en Algérie et quelque 255 membres. Mais ce nombre est en deçà de celui exigé pour constituer un district, un ensemble de 70 clubs, selon la forme d'organisation de l'association. Cible des islamistes, le Rotary a été évoqué dans l'enceinte de l'Assemblée par un député du MSP qui a interpellé l'actuel ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Dahou Ould Kablia, sur les activités de l'association. “Elle travaille dans le cadre de la loi”, a rétorqué le ministre, selon le Dr Ali Khodja, président de l'association des Rotary clubs. C'est probablement après cette sortie du député du MSP, qu'un journal arabophone à grand tirage, très proche de la mouvance islamiste et réputé pour son antisémitisme, ses positions racistes et sa propension à cultiver la haine, est tombé à bras raccourcis sur ces associations soupçonnées d'appartenir à la franc-maçonnerie et pilotées par les sionistes. “On donne une image qu'on estime ouverte, moderne”, soutient pour sa part Tewfik Guersi, ancien gouverneur du district Maghreb. “On investit beaucoup sur l'image du pays”, dit-il. Comme les Lions, Rotary s'est fixé comme objectif d'éradiquer la polio. En Algérie, en 2003, Rotary a construit une école à Tidjelabine, près de Boumerdès. Il y a également la construction du stade de carrière Jobert en 2001, à Bab El-Oued. Une action consistant à importer deux containers de chaises roulantes pour handicapés est en cours. Le champ d'action de l'association embrasse autant le culturel que l'humanitaire. Gage de transparence, M. Guersi affirme que l'association dispose de comptes ouverts dans les banques et des galas sont parfois organisés pour ramasser de l'argent. Histoire aussi d'assurer que leur vocation est de faire progresser l'entente entre les peuples, l'altruisme, le respect de la paix par le biais de relations amicales entre les membres des professions, unis par l'idéal de servir, selon les buts fixés, Tewfik Ghersi, également directeur général d'une compagnie d'informatique, rappelle que pendant les réunions, “il est interdit de parler politique ou religion”. Seul regret : en France, en Asie, il y a plusieurs districts alors qu'ici, il faut quatre pays pour constituer un district. Représenté à l'ONU, le Rotary est aussi partenaire de l'OMS. “Nous sommes des ONG représentées à l'ONU. Elles ont participé à la résolution de la charte sociale. C'est comme les scouts créés en Angleterre ou encore la Croix-Rouge créée en Suisse”, conclut M. Guersi. Si l'idéal reste noble, le chemin reste cependant long…