Vingt ans. Deux décennies des plus terribles vécues par l'Algérie de l'ouverture politique et médiatique. Deux décennies qui ont vu s'estomper l'espoir d'Octobre 1988, à peine qu'il eut ouvert les yeux que le nouveau-né, la presse indépendante, qu'elle voit se dresser devant elle toutes sortes d'obstacles à la perception de l'horizon. C'est aussi l'âge du quotidien arabophone El Khabar qui vient de fêter son 20e anniversaire ; une occasion pour revenir sur les lieux. À El Khabar, on a choisi d'étaler sur plusieurs jours cette célébration, une sorte de “feuilleton” (mousselsel). Un terme qui n'a rien à voir avec les kilométriques séries télévisées et qui plaît cependant à Atmane Snadjki, le directeur de la rédaction. On peut se permettre une amorce anecdotique ou humoristique puisque la rencontre commence bien après les différentes réunions de la rédaction. À mi-chemin de la fin de la semaine, les responsables de rubriques sont déjà éprouvés par la charge de travail. Slimane Hamiche paraît n'occuper qu'un côté du couloir. Un des cadres du journal, il a toujours opéré avec le défunt Chawki Madani en tandem. Sent-on d'ailleurs l'ombre orpheline de Chawki à ses côtés ? Fin de la première mi-temps avec la mise en place de l'architecture du journal du lendemain. Après les réunions au sein des rubriques, les responsables se retrouvent avec le DR pour un briefing autour du contenu de l'édition (du jour). Les responsables reprennent leur rubrique, et le DR nous accompagne dans El Khabar intra-muros, une sorte de visite guidée à travers les départements de son nouveau siège à Hydra. Début de la marche par le troisième étage de l'aile droite de la bâtisse, celle de gauche étant réservée à la direction et à l'administration. Pour l'instant, ce n'est pas l'encombrement dans les couloirs, la majorité des journalistes étant dehors en couverture ou sur des enquêtes. Le responsable de la rubrique “Souk el kalam”, l'équivalent du “Radar” de Liberté, est déjà à “la collecte”, et lui fait face le caricaturiste Soussa qui souvent accompagne “Souk el kalam”. C'est son vrai nom, plaisante le DR. “Une carie” avec son trait incisif, particulièrement quand il s'agit de “dessiner le portrait” d'un élu “parvenu”. Parvient d'une salle en face la voix de Nordine Morceli, l'athlète qui est venu rendre visite au journal. On voit que tous les anciens et compétents journalistes ont été promus pour encadrer les jeunes. Et Snadjki de confirmer ce constat et d'évoquer la formation pour les collaborateurs de la publication. À l'étage du dessous, les salles des rubriques avec bien entendu l'inévitable “Nationale”. Elle est presque vide. Tout le monde est en couverture. On continue le tour du propriétaire avec la “Régionale” qui fourmille. Le credo d'El Khabar étant la proximité, il a des correspondants dans le moindre coin du pays. Et à chaque escale, s'offre l'occasion d'un fourire. Et le grand éclat à la “Sportive” avec toutes les anecdotes sur les clubs, l'EN et les joueurs. C'est juste une journée ordinaire dans la presse algérienne qui fonctionne à un rythme industriel hérité de la décennie noire. Et pour cet anniversaire, on évitera la nostalgie, la douleur et les déceptions d'un métier qui colle à la peau mais qui reste un parcours très difficile. La réalité, cependant, finit par imposer sa logique à la vue des portraits des “disparus”, de ceux qu'on ne reverra plus. “On lui a conseillé de quitter son quartier, mais il a toujours refusé”, dit Snadjki en évoquant Omar Ourtilane dont le portrait, comme un fantôme, hante le siège du journal. Alignés, ils sont tous là, même s'il n'y a aucun risque d'amnésie, de les oublier, ils sont gardés là comme des témoins pour continuer à partager quotidiennement la confection d'El Khabar. Vingt ans. Deux décennies viennent de passer. L'âge de la presse indépendante et privée. Et El Khabar a cette exception d'avoir été le premier titre arabophone qui a pu se distinguer dans le paysage médiatique algérien et arabe. Ses responsables en parlent avec fierté tout en reconnaissant quelques insuffisances. Fierté, mais aussi incompréhension des raisons des attaques des autres et des jalousies primaires qui gangrènent les rapports entre les titres. Le tour s'achève au pied de l'immeuble sur cette promesse commune à tous les journalistes de continuer à défendre et à préserver ce rare acquis de l'ouverture encore debout. El Khabar a vingt ans. Juste deux décennies, mais un grand parcours dans une Algérie tumultueuse.