Devant la nécessité admise par tous d'un redéploiement industriel rapide et significatif, pourquoi en effet devrait-on donner la priorité au secteur pharmaceutique ? Autant pour des raisons économiques que pour des raisons politiques et sociales. Il s'agit de contribuer à éloigner le spectre de la pénurie dans l'aspect le plus sensible des besoins sociaux, celui de l'accès aux soins. Tout le monde se rappelle la grave crise financière qu'a traversée l'Algérie au début de la décennie 1990. Ce qui subsiste des effets de cette crise dans l'inconscient collectif, après le chômage massif, aura été l'incapacité temporaire du pays à payer la facture de l'importation des médicaments de première nécessité et celle des céréales. C'est pourquoi le développement d'une production locale de médicaments revêt un caractère stratégique et même urgent. Sur un marché estimé actuellement à 2 milliards de dollars pour atteindre 3 milliards de dollars en 2015, avec un taux de croissance annuelle de 10%, la production nationale publique et privée ne couvre en valeur que 25% de la demande, selon une étude présentée dernièrement par le docteur Rachid Guebbi. Néanmoins, la branche pharmaceutique peut, dans une perspective dynamique, être un des moteurs de la croissance industrielle globale prévue de participer, rappelons-le, à 10% du PIB en 2014, contre 5% actuellement. Il s'agira de fixer pour cette branche une série d'objectifs intermédiaires. Par exemple, celui de faire passer la production nationale publique et privée en tête dans la couverture des besoins nationaux en médicaments. Actuellement, c'est le laboratoire français Sanofi Aventis qui est le premier fournisseur de notre marché des médicaments avec 320 millions de dollars. Le groupe public algérien Saidal ne vient qu'en troisième place, avec 149 millions de dollars. L'objectif suivant pourrait être celui de passer de 20% de couverture actuellement à 50%, en y ajoutant des quantités exportables sur les marchés arabes et africains. Cet objectif me paraît d'autant réaliste que l'Union nationale des opérateurs pharmaceutiques (UNOP) avait annoncé, il y a quelque temps, qu'il était possible de couvrir les besoins nationaux à hauteur de 65% en 2012. Mais, pour ce faire, la politique publique du médicament devra être non seulement lisible et stabilisée, mais validée par les professionnels et les acteurs de la branche dans un dialogue permanent avec les pouvoirs publics. Des avancées ont été faites dans ce domaine lorsque ces derniers ont pris la décision d'interdire l'importation des médicaments fabriqués localement. Mais il faut rappeler que les hésitations et les changements de cap en matière d'obligation faite aux importateurs d'avoir à investir dans la production ont freiné le développement de la branche. Il faut également noter les lenteurs persistantes en matière de procédures d'enregistrement des médicaments, lenteurs que signalent de façon récurrente les investisseurs locaux. Certains de ces derniers ajoutent même que quelquefois, les procédures d'enregistrement des médicaments importés aboutissent plus rapidement. Dans tous les cas, il faudra améliorer la réactivité des administrations en charge de ces dossiers. La mise en place annoncée d'une agence du médicament devrait promouvoir la régulation d'un marché sensible en termes de fixation et de respect des règles du jeu, mais aussi en termes de veille et de surveillance. D'autres mesures d'accompagnement du secteur ont été prises. On peut citer, par exemple, la suppression de la taxe sur l'activité professionnelle (TAP). On peut ajouter également les garanties d'Etat pour accompagner les investissements importants du groupe public Saidal pour les cinq prochaines années. Mais, en vérité, cette branche souffre des mêmes problèmes que ceux de l'ensemble du secteur industriel. Il s'agira d'en identifier les plus importants pour les réduire progressivement mais fermement. De ce point de vue, l'“Etude sur la compétitivité du monde arabe 2010”, publiée récemment par le World Economic Forum (WEF), est riche en enseignements pour nous. Ainsi, on peut y relever, s'agissant de l'Algérie, les trois principaux freins à la pratique des affaires sur les 16 indiqués. Par ordre décroissant de gravité, il y a “l'inefficience de l'administration publique” (21,1 sur une base de 30), ensuite “l'accès au financement” (16,4 sur une base de 30) et enfin la “corruption” (13,8 sur une base de 30). La poursuite et l'intensification du traitement de ces trois contraintes, à la portée des pouvoirs publics, amélioreront notre indice de compétitivité globale. Cela de sorte à passer, pour utiliser les concepts des auteurs du rapport en matière de stade de développement, d'une économie tirée par les facteurs à une économie tirée par l'efficience. La dernière étape étant de devenir une économie tirée par l'innovation. Cela paraÎt bien loin. Mais, en conclusion, j'ai quand même le sentiment que, de toutes les branches industrielles, celle de la pharmacie est celle qui peut arriver le plus rapidement au dernier stade de développement, car elle implique obligatoirement “efficience et innovation”, et aussi intérêts croisés des partenariats dans un monde globalisé.