Faire parler de ses travaux à Alger et devant plus d'une centaine de personnes, Mohamed Arkoun (1928 – 2010) n'a pas pu le réaliser de son vivant, l'islamologue algérien l'a réussi à titre posthume, trois mois après sa mort. C'était samedi après-midi à l'hôtel Essafir, lors d'une conférence-débat, programmée dans le cadre des Débats d'El Watan, et dont le thème était “Hommage à Mohamed Arkoun”. Modérée par Mohamed Hamechaoui, cette rencontre a vu la participation du Yadh Ben Achour, doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, et de l'Algérien, Mohame Hocine Benkheïra, directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études à Paris. Deux personnes qui n'ont pas laissé indifférente la nombreuse assistance venue assister à un débat inédit. Inédit pour plusieurs raisons. Il était question tout au long des quatre heures qu'a duré cette conférence, de l'islam, mais sous d'autres angles, sous d'autres “regards”. Il n'était question ni des prêches des prédicateurs ni d'une leçon d'un pseudo mufti autoproclamé “savant” de l'islam. Ce que personne, ou presque, n'ose le dire ouvertement en Algérie, les deux conférenciers, surtout le tunisien, l'ont dit haut et fort. Yadh Ben Achour, en se référant aux travaux de Mohamed Arkoun, fera sursauter plus d'un dans la salle, lorsqu'il affirma “l'enfer et le paradis ne sont pas des réalités, il faut les interpréter symboliquement”. Devant une assistance accrochée à ses lèvres, il ajouta : “C'est ce qu'affirmait Mohamed Arkoun et Mohamed Iqbal (philosophe pakistanais, 1877-1938, ndlr) l'avait dit avant lui.” Continuant sur sa lancée, le Tunisien toucha à certaines “certitudes” actuelles, les travaux des célèbres exégètes du Coran, Tabari et Ibn Kathir. “Il faut les remettre en cause dans l'intérêt de l'islam”, dira-t-il sans sourciller. Défendant les thèses de Mohamed Arkoun, Yadh Ben Achour a insisté sur les repères historiques du défunt : “Il faisait à chaque fois référence au IVe siècle de l'Hégire, soit le Xe siècle grégorien.” Il cita quelques noms de l'époque “qui représentaient, selon lui, les exemples de la grande liberté de pensée” : Abou Aayane al-Tawhidi, El-Hamdani, Abou al Alae al Maari, etc. “On est frappé par la créativité qui animait la pensée islamique d'alors”, soutiendra-t-il avant de lâcher : “Alors revenons au IVe siècle de l'Hégire.” À propos des accusations d'“apostat” et de “mécréant” lancées à l'encontre de Mohamed Arkoun, Yadh Ben Achour déclara : “Pour le juger, il faut d'abord le lire (…) moi, j'ai lu à peu près tous ses livres et je peux dire qu'il était un musulman libéré des entraves de l'histoire et il a pris la posture d'un homme ami de Dieu et non d'un esclave de Dieu.” Tranchant et pertinent, il fit une demande aux présents que “chacun de nous s'arrête devant ce qu'on lui a transmis” tout en lançant : “Je défie quiconque de trouver un seul verset transformé en code juridique.” Une “bravade” qu'il lâcha suite à son introduction sur l'une des réflexions de Mohamed Arkoun qui stipulait que “la charia est réformable par la voie de l'ijtihad”. Il rappela des termes, sans équivoque, de l'enfant de Taourit-Mimoun sur les exégètes “gestionnaires de la croyance” ou encore sur l'état des lieux chez les étudiants musulmans “la servitude intellectuelle”. Beaucoup moins enthousiaste que le Tunisien, Mohamed Hocine Benkheïra, a fait une “évaluation critique” des contributions de Mohamed Arkoun. Selon lui, le fait que le défunt s'est imprégné des théories linguistiques a fait que “pratiquement personne ne l'a suivi”. Contredisant Mohamed Arkoun, il affirma que “les exégètes traditionnels avaient aussi des qualités” avant de donner une conclusion sur les travaux de l'islamologue “c'était une tentative qui a été un échec”. Les deux étaient d'accord sur le fait : “Un chercheur ne prétend jamais détenir la vérité” et que “la vérité se situe entre le dogme et la vérité historique”. Toutefois, Yadh Ben Achour ne semblait pas optimiste pour l'avenir des musulmans devant la prédominance du “système de pensée de nos ancêtres” qui “va durer”. Sa “petite” note d'optimisme concernait les travaux de Mohamed Arkoun, “une pensée, ça met beaucoup de temps pour s'incruster”. En Algérie, et à cette allure, elle risque de tarder encore plus. Sur les 17 livres écrits par l'islamologue, un seul, Humanisme et Islam, est disponible dans les librairies algériennes…