Confrontés aux pillages et aux violences, les nouveaux dirigeants politiques tentent de reprendre le contrôle, avec la promesse de consacrer la démocratie. Comme la révolution des œillets, qui a permis la transition démocratique au Portugal, la Tunisie a inventé la sienne du nom de révolution du Jasmin. Reconduit par Foued Mebazâa (président par intérim), le premier ministre tunisien sortant, Mohammed Ghannouchi, poursuivait dimanche ses consultations avec l'opposition. Le nouveau pouvoir tunisien a commencé la veille, aussitôt sa nomination par le Conseil constitutionnel, à sonder les partis et les représentants de la société civile sur les réformes politiques visant à rompre avec le système du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, réfugié en Arabie saoudite. Les personnalités défilent au Palais du gouvernement où elles sont reçues séparément. Selon Mustapha Ben Jaffar, chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés, la discussion a tourné autour “des mesures à prendre pour jeter les bases d'un véritable processus démocratique et tourner la page d'un système qui a échoué”. Une fois ce tour de table achevé, Ghannouchi devait réunir, hier, sinon aujourd'hui, tous ses interlocuteurs pour s'entendre sur la composition d'un gouvernement d'union nationale et se mettre d'accord sur les personnalités qui vont travailler à ce processus pour aboutir à des élections transparentes sous le regard international éventuellement. Deux comités seront formés au terme de ces consultations pour enquêter sur les “dérapages et violences” durant le mois de protestations et de révoltes populaires et sur le dossier de la corruption. Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) du président déchu Ben Ali ne sera pas écarté de ce processus, “pour ne pas déstabiliser l'appareil d'Etat et éviter un scénario à l'irakienne”, a plaidé le premier ministre face à ses interlocuteurs. Pour l'heure, il n'y a que les partis légaux qui ont participé à cette première phase de consultations tout comme la centrale syndicale, la Ligue des droits de l'Homme et le Conseil de l'Ordre des avocats. Reste donc à savoir ce qu'il en sera avec l'opposition interdite dont la plupart est en exil et qui a commencé à rentrer dans le pays ? Théoriquement, elle devrait également prendre part au processus de changement sinon ça serait à ses yeux encore une mainmise sur la volonté démocratique populaire. Le problème est que la magnifique révolution du Jasmin s'est déroulée certes avec des mots d'ordre clairs quant à la démocratie et à sa gouvernance, mais sans cadre. D'où de sérieuses inquiétudes à propos des forces qui voudraient accaparer le mouvement. À ce propos, certains observateurs ne manquent pas de souligner que les islamistes, absents de la protestation et des émeutes, sont en embuscade. Aussitôt Ben Ali chassé de Tunisie, depuis Londres où il vit en exil, le chef du parti islamiste tunisien, Ennhadha, Rached Ghannouchi, a déclaré qu'il prépare son retour dans son pays, et qu'il est disposé à la formation d'un gouvernement d'union nationale. C'est clair : les islamistes vont sortir du bois et réclamer une part. Ces tractations se déroulent sur fonds de pillages et de violences. Formatés par la propagande du régime, les animateurs des télévisions tunisiennes tentent de s'adapter à la nouvelle situation en multipliant les appels à la vigilance et à une réaction des habitants face aux pilleurs. La famille de Ben Ali, réfugiée en France, devra se trouver une autre terre d'accueil ; les autorités de ce pays sont obligées de suivre le sens du vent de la liberté qui a soufflé en Tunisie.