En une semaine seulement, soit du 12 au 19 janvier, l'Algérie a enregistré 8 tentatives d'immolation, dont celle émanant d'une femme, dans la wilaya de Sidi Bel-Abbès. Ces actes, à la fois symboliques et violents, ont pour finalité, par leur côté spectaculaire, de dénoncer une situation de déni et surtout de désigner l'Etat, les élus ou tout détenteur de pouvoir, comme les responsables du désespoir des suicidés ou des personnes ayant tenté de se tuer. D'après les spécialistes, notamment les psychologues, l'immolation est un phénomène ancien dans notre pays. Il n'empêche que la multiplication des tentatives d'immolation, pas seulement en Algérie, mais aussi dans d'autres pays arabes et maghrébins (Tunisie, Mauritanie, Egypte…), coïncide avec la chute du régime Ben Ali en Tunisie. L'autre constat établi par ces spécialistes montre que l'immolation est un acte recherché par les jeunes, mais il n'est pas, cependant, le seul fait de cette frange de la population. Pour preuve, il n'y a qu'à se rappeler ce père de famille, venu de l'intérieur du pays, qui s'était immolé par le feu, en 2004, à la Maison de la presse Tahar-Djaout (Alger), pour dénoncer la “hogra, l'injustice, la corruption”. Quelques jours après, le malheureux avait succombé à ses blessures. Plus proche encore, soit le 19 janvier dernier, c'est également un père de famille qui a tenté de mettre fin à ses jours, à El-Oued, en s'aspergeant d'essence, après avoir été empêché par un policier de vendre ses produits à la sauvette. L'immolation renvoie à la notion du sacrifice. Le choix de s'immoler, de surcroît au sein ou face à des institutions, est un message de désespoir et de protestation extrême. D'aucuns vont même jusqu'à dire qu'il concerne des Algériens qui, dans un contexte de décomposition du corps social et d'inégalités sociales criantes, expriment leur colère et leurs sentiments d'humiliation. D'autres observent que la mal-vie et l'exclusion poussent aussi à d'autres actes suicidaires, certes moins spectaculaires, référence faite au phénomène des harragas et des suicidés. Pourtant, certains conviennent que l'autodestruction par le feu est l'expression d'un désordre intérieur, surtout d'une impuissance dans un environnement où évoluent plusieurs violences : chômage, paupérisation, problème du logement, corruption généralisée, clientélisme, verrouillage des espaces d'expression, incertitudes… En l'absence de cadres de recours et de médiation, d'espaces pour la confrontation d'idées, de vie politique et sociale pouvant offrir un exutoire aux contestataires, la peau est vécue comme un ultime moyen de s'exprimer et d'attirer l'attention sur soi. Sur ce sujet, des psychologues estiment que ceux qui s'adonnent à l'immolation se trouvent dans une logique du “donner à voir” de la destruction de leur corps. En agissant de la sorte, ces personnes veulent ainsi dire “je suis là”, “j'existe” et “je proteste”. À partir de là, l'immolation par le feu est considérée comme une manière de “se sauver dans l'incendie” pour se protéger, sinon fuir l'enfer social qui est devenu insupportable. Mais le plus inquiétant chez les partisans de l'immolation, c'est que ces derniers, tout comme les harragas et les kamikazes, perçoivent l'acte à la mort comme une sorte de délivrance, voire même un geste glorieux. C'est dire donc l'urgence à mettre de l'ordre dans la société, à réunir les conditions nécessaires pour rendre espoir et confiance, permettre à la société et à ses membres de se reconstruire, donner sens à la bonne gouvernance, qui suppose l'exercice réel des libertés démocratiques et le respect des droits de l'homme.