Oran, malgré ses tours argentées, son Sheraton flambant neuf et ses attrape-nigauds en marbre de filfila, reste un gros, un énorme village tout juste sorti de la tourbe et de la paille sèche. À tort ou à raison, mais Oran a toujours été considérée comme une ville facile et plus si affinités. C'est vrai que ses habitants sont sympathiques, bourrés d'humour, accessibles et très abordables ; c'est vrai aussi que la proximité de la mer et de la montagne que surplombe une magnifique basilique lui donne des allures latines à la Montevideo ou peut-être même un faux air brésilien avec ses favelas de Sid El-Houari et ses cariocas du tumultueux Hamri. C'est vrai, enfin, que la nonchalance catalane légendaire de ses habitants, leur goût prononcé pour le rythme et la musique et la paella font de cette ville si attachante et si particulière une perpétuelle cendrillon même après le bal… et le bain de minuit. C'est, en effet, à partir de minuit, pour les touristes en goguette que s'éveillent, sur la côte, au milieu du béton, tous les sens et tous les rôles clandestins. Cela pour le côté cour. Quant au côté jardin, Oran, malgré ses tours argentées, son Sheraton flambant neuf et ses attrape-nigauds en marbre de filfila, reste un gros, un énorme village tout juste sorti de la tourbe et de la paille sèche. Voilà donc une cité conçue et réalisée au départ pour 150 000 âmes seulement. En 1771, pour rappel, le hameau ne comptait que 2 500 habitants, 500 haouch et 35 lieux publics tels que mosquées, madersas, muphtis et cadis. Au lendemain de l'indépendance et avec le départ des colons, la ville se vida de sa population comme une outre et pour rester dans le “pescados” espagnol comme une huître… Pendant 10 ans, de 1962 à 1972, les Oranais vivront sur un nuage. Aucune pénurie d'eau, pas de problème de logement, aucun embarras de la circulation et, cerise sur le gâteau, on pouvait changer de job deux fois par jour. L'exode rural ragaillardi et encouragé par le fameux “soleil de l'indépendance pour tous” ajouté à une natalité débridée feront qu'à partir de 1990, le ciel des druides tombera sur la tête des gaulois. Et vlan ! Les premières coupures d'eau pointent du nez, l'emploi se raréfie de jour en jour et il devient extrêmement difficile de se déplacer dans une mégapole qui, entre-temps, a multiplié ses tentacules tous azimuts. La commune et ses teuf-teuf d'un autre âge ne règlent aucun problème en matière de transport intra-muros. C'est l'anarchie, le bazar. Oran est livrée carrément à la loi des chauffeurs de taxi et des clans. Autrement dit, au hasard. Les gestionnaires ne trouveront qu'une seule parade à l'immense cafouillage qui s'annonce : libérer les lignes par l'implication du privé. Et le privé, quand il s'agit de gros sous, ne fait, bien sûr, pas la fine bouche. Kersan retapé ou bus tape-à-l'œil aux formes aérodynamiques, tout est bon pour “ramasser” le piéton, quel que soit le quartier ou la direction où il fait le pied de grue. Résultat : nous assistons aujourd'hui à un immense rodéo motorisé aux heures de pointe. Les cars, en plein centre-ville, doublent et même en seconde position. Peu importe les petites cylindrées et les passages cloutés (qui n'ont plus de clous depuis belle lurette), les grosses cylindrées et la traversée des écoliers, pourvu que le receveur “shoote” en raï à son ivresse…Les frasques de Bachir Frik et le crêpage de chignons entre militants bien élevés du FLN, sont presque de la tarte à côté du spectacle typiquement “villageois” que nous offrent tous les jours ces “fongios” des Kersan. Et on prétend que les tiroirs de la wilaya sont pleins à craquer de permis de conduire retirés ! MUSTAPHA MOHAMMEDI