Après plus de trois semaines de soulèvement, marquées par des succès incontestables mais surprenants par leur rapidité, l'insurrection libyenne a connu, ces derniers jours, ses premiers revers. Il y a quelques jours à peine, les insurgés étaient aux portes de Tripoli et l'assaut final, qui devait signer la chute définitive de Kadhafi et de son clan, était inscrit dans les étoiles. Depuis une semaine, le dictateur a repris l'initiative. Il a organisé la contre-offensive, a repoussé les rebelles qu'il a délogés de positions aussi symboliques que stratégiques et ses armées ne cessent de gagner du terrain. C'est parce qu'elle sait que les données techniques du terrain lui sont défavorables que cette résistance multiplie les appels en direction des puissances occidentales. Parce que jalouse de sa révolution, elle ne demande pas d'intervention militaire proprement dite, mais souhaite la neutralisation de l'aviation ennemie par l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne. Elle veut aussi des armes et un soutien logistique qui redonnent toutes ses chances à la volonté de changement très largement exprimée par le peuple libyen. Face à cette demande pressante, les puissances occidentales unanimes à demander le départ du dictateur ont pris des décisions périphériques comme le gel de ses avoirs et de ceux de son clan, mais restent amorphes et profondément divisées dès qu'il s'agit d'initiatives à même de favoriser et d'accélérer la victoire des insurgés. On a peur de l'enlisement, de l'escalade, d'effets contraires… Bref, les Etats-Unis et leurs alliés européens découvrent la vertu des scrupules. C'est que le spectre du désastre irakien et du bourbier afghan pèse lourd dans la balance des consciences tardivement activées ! Bien sûr, on continue à affirmer que l'option militaire est toujours à l'étude et que la zone d'exclusion aérienne est à l'ordre du jour, moyennant un mandat clair de l'ONU et un feu vert sans ambages de la Ligue arabe. L'Union européenne vient même, à l'issue d'un sommet marqué par de “petits meurtres entre amis”, de projeter une tripartite avec l'Union africaine et la Ligue arabe, pour, dit-elle, déblayer le terrain et envisager des actions. En un mot comme en dix, la communauté internationale réagit comme si le temps était figé et comme si la tragédie libyenne n'était qu'une espèce de théâtre d'ombres où les victimes ne seraient que des projections immatérielles. On pourrait être tenté de penser que la France sort du lot, elle qui s'est courageusement opposée à l'invasion de l'Irak et qui préconise une intervention rapide et une reconnaissance immédiate de l'opposition libyenne. On peut même penser que l'épisode irakien lui donne une espèce de légitimité. Mais force est de relever que Sarkozy n'était pas aux affaires lorsque son pays a marqué l'histoire contemporaine par sa position lucide. De plus, si sa position est avant-gardiste dans le fond, il a annihilé toute chance de son acceptation par ses pairs en optant pour une initiative en solo, qui a surpris jusqu'à ses plus proches collaborateurs. Ses choix ont donc été guidés d'abord par des considérations de politique intérieure, accessoirement par l'intérêt égoïste de la France et très peu par le sort des insurgés certes décidés et courageux, mais d'une naïveté déconcertante. Pendant que se multiplient d'inutiles chassés-croisés dans les palais d'Europe et les bâtiments de Washington et de New York, avec un arrière-plan qui sent bon le pétrole, le temps passe. Avec son lot quotidien de victimes. Et le temps, tout le monde l'aura constaté, joue en faveur de Kadhafi. Et que se passera-t-il si le fantasque colonel venait à rasseoir son pouvoir sur le pays ? Ni Obama ni Sarkozy ne daignent répondre à une question si incongrue. Surtout au moment où le terrible séisme qui a frappé le Japon relègue au second plan médiatique la tragédie sanglante qui se joue en Libye.