Refusant d'accepter la réalité du terrain, le colonel Kadhafi est donc allé jusqu'au bout de sa logique meurtrière en lançant ses troupes contre les opposants, d'où un nombre impressionnant de victimes entre morts et blessés. Des affrontements ont éclaté vendredi après-midi entre les forces fidèles à Kadhafi et les insurgés aux alentours du port pétrolier et de l'aéroport de Ras Lanouf, à 600 km à l'est de Tripoli. Dans la soirée, alors qu'aucune information fiable n'était disponible concernant le nombre de victimes et l'issue de ces combats, le vice-ministre libyen des Affaires étrangères a annoncé que Ras Lanouf était tombée sous le contrôle des forces loyalistes, et les insurgés affirmaient le contraire. D'une manière générale, les hommes de Kadhafi ont pris pour cibles les installations pétrolières et militaires passées sous le contrôle de l'insurrection depuis plusieurs jours. Cela a été le cas notamment à Brega, Ajdabiya et Zoueïtina. Mais, là aussi, ni bilan ni résultat des combats ne sont disponibles. Dans la soirée de ce même vendredi, Benghazi a été violemment secouée par deux explosions qui ont détruit un dépôt d'armes et de munitions. Au moins 20 morts et 26 blessés sont à déplorer, selon des sources hospitalières. Il s'agirait vraisemblablement du bombardement aérien d'une base militaire tombée depuis plusieurs jours aux mains des insurgés. En fait, les forces loyales à Kadhafi semblent concentrer leurs efforts sur des cibles stratégiques de l'Est libyen libéré aux premiers jours du soulèvement par les insurgés. À l'ouest de la capitale aussi, des affrontements ont eu lieu vendredi à Zaouïah et dans ses environs. Au moins treize personnes y ont trouvé la mort, selon une chaîne satellitaire arabe, tandis que la télévision d'Etat libyenne affirmait que la ville a été reprise par les forces armées de Kadhafi. En fait, selon les informations disponibles, les forces pro-Kadhafi ont repris le contrôle de la quasi-totalité du territoire situé à l'ouest de Tripoli. Dans la capitale même, place forte du dictateur, la situation était très tendue, mais loin de la situation qui prévalait dans les zones de combat. Des manifestations d'opposants ont eu lieu dans certains quartiers périphériques, dispersées par les forces de l'ordre à coups de gaz lacrymogènes. Sur la place Verte, haut lieu de soutien au dictateur, des échauffourées entre partisans et opposants n'ont vraisemblablement pas occasionné de victimes. Le colonel Kadhafi est donc allé jusqu'au bout de sa logique meurtrière, et la guerre civile qu'il a promise au peuple libyen a bien lieu. Au-delà des victimes de la répression que des organisations locales estiment à plus de 6 000 depuis le début du soulèvement populaire, c'est aussi un véritable drame humanitaire qui se déroule à la frontière tunisienne où des dizaines de milliers d'étrangers fuyant les combats sont empêchés de quitter le pays et sont parqués dans des conditions inhumaines. On peut se demander à quel impératif peut bien répondre cette attitude des autorités libyennes et si, en définitive, il n'y aurait pas un projet de bouclier humain au cas où l'option militaire, très peu probable au demeurant, venait à être retenue par la communauté internationale. À moins qu'il s'agisse simplement d'une opération de communication destinée à prouver que le dictateur reprend les choses en main et contrôle encore les frontières. Pendant ce temps, la communauté internationale est gênée aux entournures et peine à définir quelque modalité d'intervention. Certes, l'option d'une zone d'exclusion aérienne, destinée à empêcher Kadhafi de bombarder les positions des insurgés, se précise. Encore faut-il pouvoir en assurer l'efficience, un tel dispositif nécessitant la destruction préalable des batteries antiaériennes de l'armée loyaliste, selon des spécialistes des questions militaires. C'est dire que l'équation libyenne est quasi insoluble. Certes, la chute du dictateur est inévitable. Mais dans combien de temps et à quel prix ? Ce prix, il l'a déjà annoncé : un bain de sang…