“Il semble que Kadhafi ne contrôle plus la situation en Libye.” Ce sont les propos tenus hier par le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, qui a soutenu mordicus, jusqu'ici, qu'il fallait à tout prix aider le chef d'Etat libyen et sauver son régime. “Si nous sommes tous d'accord, nous pouvons mettre un terme au bain de sang et soutenir le peuple libyen”, a-t-il ajouté devant un congrès du Parti des républicains italiens, opérant un virage à 180 degrés par rapport à ses déclarations antérieures. La dernière voix occidentale, qui croyait encore à une victoire de Kadhafi sur le mouvement insurrectionnel déclenché depuis près de deux semaines, vient ainsi de s'éteindre. Berlusconi a tout simplement confirmé ce que tous pronostiquaient déjà : la chute inéluctable du régime Kadhafi. Ce n'est pas peu dire lorsqu'on sait les relations qui unissent les deux pays et les intérêts considérables qui les lient, ce qui laisse supposer un niveau d'information élevé chez le gouvernement italien. De fait, le régime de Kadhafi est de plus en plus vacillant après douze jours d'une insurrection populaire réprimée dans le sang mais qui marque des points tous les jours. En témoignent les contractions frappantes entre le discours guerrier du guide libyen, qui se disait prêt à armer la population pour combattre les insurgés, et l'attitude de son fils Seïf Al-Islam qui évoquait un cessez-le-feu en négociation. Le moins qu'on puisse dire est que le clan Kadhafi et le dernier carré de ses fidèles sont pris dans un étau et ne contrôlent plus que la ville de Tripoli où, pour la première fois, des journalistes étrangers ont eu accès. Tout le territoire de la Libye est entre les mains de l'insurrection qui contrôle des terminaux pétroliers et lève une espèce d'armée insurrectionnelle qui jure de libérer Tripoli. Au total, le mouvement insurrectionnel contrôle plus des deux tiers du territoire et ne cesse de gagner du terrain tout en enregistrant le ralliement de pans entiers de l'armée. Même à Tripoli, des témoignages ont fait état, hier, de la présence dans certains quartiers d'insurgés armés et des coups de feu soutenus auraient été entendus avant-hier et hier, ce qui pourrait signifier un début de guérilla urbaine et le prélude à la bataille de Tripoli, la dernière, peut-être, qu'aura à livrer le colonel Kadhafi. La bataille n'est néanmoins pas gagnée d'avance pour les insurgés. Le dictateur et ses soutiens ont encore des capacités de feu considérables, chars et avions compris, sans compter les 9 000 hommes bien armés que comptent les comités révolutionnaires stationnés à Tripoli, qu'il faut additionner aux troupes régulières encore loyales. Les observateurs les plus pessimistes évoquent même un possible recours du clan Kadhafi à des armes chimiques. C'est dire que même si la victoire finale des insurgés ne fait plus de doute, le prix à payer pourrait être très élevé. Beaucoup plus qu'il ne l'est déjà, puisque plusieurs sources évoquent désormais non plus des centaines, mais des milliers de victimes. Le régime n'est pas près d'abdiquer, en tout cas, comme le prouvent ces mercenaires transportés par hélicoptères, qui ont ouvert le feu, hier après-midi à Musratha, sur des manifestants se rendant aux funérailles de victimes tuées lors des combats de la veille. Mais il faut dire que la psychologie du personnage Kadhafi est insaisissable et ses réactions imprévisibles. Surtout face aux défections successives de ses soutiens, y compris dans sa propre famille. C'est pourquoi l'information rapportée par l'agence iranienne Press TV, selon laquelle le plus jeune des fils de Kadhafi, Seïf Al-Arab, officier âgé de 30 ans, aurait rejoint les insurgés à Benghazi, est d'une importance capitale. Surtout que d'après cette agence, le rejeton du dictateur aurait déclaré que son père allait se suicider ou fuir vers l'Amérique latine. Bien entendu, l'information est à prendre avec toutes les précautions d'usage. Il n'en demeure pas moins qu'elle n'a été démentie par aucune partie, pas plus qu'elle n'ait été confirmée par d'autres sources. En attendant, les pro-Kadhafi, comme les insurgés, fourbissent leurs armes et préparent la bataille décisive de Tripoli.