Le 25 juin 2009, le général français, François Buchwalter, ancien attaché à la défense à Alger, mettait en cause l'ANP dans la mort des moines de Tibhirine. Ce jour-là, il était entendu, à sa propre demande, par le juge d'instruction, Marc Trévidic, en charge de l'enquête sur l'enlèvement et la mort des sept religieux. Sa déposition, reprise par l'ensemble des médias parisiens et commentée par les dirigeants politiques, jetait un nouveau froid dans la relation franco-algérienne. Le général disait tenir ses informations d'un militaire algérien, ancien camarade de Saint-Cyr, dont le frère aurait directement participé à la “bavure” qui a coûté la vie aux moines. L'écrivain René Guitton, qui vient de publier un nouveau livre sur la tragédie, a pu avoir accès au témoignage de l'officier et, par recoupements, à identifier sa source. Ecoutons le général Buchwalter : “Je pense que l'on en arrive à ma demande d'audition. C'est difficile pour moi, parce que c'est une chose dont on m'a demandé de ne pas parler. J'en avais parlé au père Veilleux, à Mgr Teissier et à l'ambassadeur. Pour que vous compreniez, j'ai eu des liens d'amitié avec divers officiers algériens qui avaient fait leur formation à Saint-Cyr, et c'est ainsi que j'ai connu une personne dont je préfère ne pas vous dire le nom car il est possible que son frère soit encore en Algérie. Il exploitait une maison de cars et je le voyais souvent. C'était un ami. Quelques jours après les obsèques des moines, il m'a fait part d'une confidence de son frère. Son frère commandait l'une des deux escadrilles d'hélicoptères affectées à la Ire Région militaire dont le siège est à Blida. Son frère commandait l'un des deux hélicoptères lors d'une mission dans l'Atlas blidéen entre Blida et Médéa. C'était donc une zone vidée, et les hélicoptères ont vu un bivouac. Ils ont donc tiré. Ils se sont ensuite posés, ce qui était assez courageux car il aurait pu y avoir des survivants. Ils ont pris des risques. Une fois posés, ils ont découvert qu'ils avaient tiré sur des moines. Les corps des moines étaient criblés de balles. Ils ont prévenu le CTRI de Blida.” Fallait-il sortir de Saint-Cyr pour livrer un témoignage aussi peu crédible ? René Guitton, lui, n'est pas sorti de la prestigieuse école, mais en relève toutes les incohérences. D'abord, le nom de l'informateur que le général Buchwalter a gardé dans le secret. Un officier algérien, ancien de Saint-Cyr, recyclé dans une entreprise de transports et dont le frère est un pilote affecté à Blida : cet informateur s'appelle Arezki Bensaïd, selon René Guitton qui complète sa fiche biographique. C'était un ancien officier de l'armée française qui, après l'indépendance, avait été intégré dans l'ANP comme instructeur. Il est décédé depuis sa confession et rien n'indique que son frère, aujourd'hui à la retraite, lui ait fait cette confidence. Par ailleurs, le général évoque son entretien avec un médecin de l'ambassade après la découverte des têtes des moines. “Il m'a dit que les têtes avaient séjourné longtemps dans la terre, que c'était épouvantable. Il ne m'a pas parlé d'impacts de balles dans les têtes.” L'auteur, qui veut rétablir ce qu'il appelle une “profanation mémorielle”, déploie un talent d'investigateur pour démonter cette thèse. Les gendarmes de Médéa ont pris des photos des sept têtes dans l'état où elles ont été découvertes et les clichés se trouvent dans le dossier du juge. “Elles apportent des renseignements nouveaux susceptibles de faire progresser l'enquête de manière décisive”, selon M. Guitton, qui a soumis les clichés à plusieurs experts français en prenant le soin de ne pas leur dire à qui ils appartenaient. Dans son livre En quête de vérité, il en reproduit les croquis. “Les têtes leur paraissaient telles qu'elles se présentaient lors de leur découverte, relativement bien conservées, encore que fortement endommagées par des impacts” et “les délabrements constatés pourraient correspondre à des balles de fort calibre”. Est-ce que les balles avaient pu être tirées à partir d'un hélicoptère ? En 1996, l'ANP était dotée d'hélicoptères MI 24, équipés de canons circulaires 38 mm. Ils pouvaient aussi avoir des roquettes antichar et des mitrailleuses 12/7 indiquant la grosseur du calibre. Avec des tirs d'altitude, ces puissantes armes auraient entraîné l'éclatement des têtes. Or, elles “sont presque intactes pour certaines”. Par ailleurs, n'y avait-il pas d'autres cadavres que ceux des moines, ainsi laissés dans un bivouac sans même un seul garde ? Selon René Guitton, chaque tête ne porte qu'un seul impact de balle et le tir semble dirigé de haut vers le bas, tiré plutôt du côté gauche avec sortie du côté droit des faces. Les moines auraient donc été tués d'une balle tirée par homme debout, alors qu'ils étaient assis ou agenouillés. René Guitton demande une autopsie des têtes qui pourrait conduire jusqu'à la découverte des corps, après prélèvement des résidus de poussière, de pollen, de brindilles et particules. Autre révélation ou plutôt confirmation : la mission confiée à Jean-Charles Marchiani par le président Jacques Chirac. À l'insu du gouvernement, l'ancien agent secret, qui venait juste d'être nommé préfet du Var, était chargé d'obtenir la libération des moines. Il réussit à entrer en contact avec le GIA grâce à un terroriste ayant un frère à Marseille. Son contact officiel est le général Fodhil Saïdi, patron de la iVe Région militaire, avec lequel il va mettre au point le scénario de la libération. Il fallait une preuve de vie des moines. C'est le fameux épisode de la cassette audio et du communiqué remis à l'ambassade par l'émissaire Abdallah, connu dans les milieux pour y avoir travaillé, ainsi que son père. S'ensuit une série de quiproquos aggravés par la fatalité du calendrier puisqu'en mai, les jours fériés sont nombreux. Sur fond de guerre entre DST et DGSE, entre balladuriens et chiraquiens, le Premier ministre, Alain Juppé, était enfin informé de la mission secrète de Marchiani qu'il ne portait pas en estime. Il lui intimait ordre de tout arrêter. “Le préfet du Var va exercer ses responsabilités dans son département et n'a pas à connaître ce dossier”, décidait un communiqué officiel. Le GIA répondait : “vous avez rompu le fil du dialogue, nous avons tranché la tête des moines.” Des années après, Juppé confesse, cité dans le livre : “À l'époque, j'avais fait confiance à nos services spécialisés, DST et DGSE. Peut-être à tort, puisque la conclusion a été l'échec que l'on sait. Enfin, René Guitton n'est pas du tout convaincu par la thèse des dissidents Tigha, Samraoui et Chouchène, qui mettent en cause l'armée au motif que le GIA serait manipulé par le DRS et Djamal Zitouni, un agent infiltré. Les accusations n'apportent même pas un ‘'début de preuve certaine''.