Une très grosse tuile sur la tête de Kadhafi. Les services de Sa gracieuse Majesté britannique débriefent son homme de l'ombre passé à l'Ouest. Arrivé mercredi soir à Londres, le ministre des AE de Kadhafi est une prise de choix pour la coalition. Ce n'est pas qu'un chef de la diplomatie. Moussa Koussa est resté l'homme sombre du régime libyen. D'ailleurs, les services britanniques, très satisfaits de sa défection, ont déclaré procédé à son débriefing. En clair, le personnage va certainement cracher des caches militaires secrètes que l'Otan va cibler. Koussa n'en sera pas à sa première forfaiture. La CIA de l'Oncle Sam ne l'avait-elle pas remercié lorsqu'elle l'avait débriefé dans les années 2000 ? C'est lui qui avait négocié le retour en grâce de Kadhafi sur la scène internationale. En contrepartie du tapis rouge déployé sous les pieds du tyran de Tripoli, par Rome, Paris, Londres et l'assemblée générale de l'Onu à New-York, Moussa Koussa a donné la liste en sa possession de terroristes islamistes et autres, ainsi que les armes sales entreposés par Kadhafi avec bien entendu les pays où la Libye avait fait son marché. Le gouvernement britannique, qui l'a accueilli, l'avait toujours soupçonné de superviser les assassinats d'opposants libyens en exil en Europe et d'avoir organisé l'approvisionnement en kalachnikovs, lance-missiles et explosifs militaires de l'Ira. La défection du chef de la barbouzerie libyenne paraît digne de romans d'espionnage. Arrivé lundi en Tunisie par la frontière terrestre, il atterrit mercredi soir sur l'aéroport d'affaires de Farnborough, près de Londres, à bord, selon diverses sources, d'un appareil militaire britannique. Coup de maître des services secrets britanniques ! Le lâchage imprévisible de cet ancien chef des services de renseignements va faire mal à Kadhafi. Même s'il n'était plus au cœur du système politico-sécuritaire depuis un an environ, Moussa Koussa est resté la boîte noire du régime. Et puis, entre sa dernière fonction de chef de la diplomatie et le renseignement, la frontière n'est pas étanche. Il a emporté dans ses bagages de quoi sauver sa tête : l'histoire des services secrets de Kadhafi depuis leur création en 1969. Avant de devenir diplomate, Moussa Koussa a géré des mouvements terroristes du monde entier au sein du “Mathaba”, le “Centre anti-impérialiste” de Tripoli qui avait atteint son summum pendant les années 1980 avec l'ouverture de camps d'entraînement aux terrorismes de toutes les chapelles. En décembre 1988, c'est l'attentat contre un Boeing de la Pan Am, au-dessus de la ville écossaise de Lockerbie (270 morts), puis, en 1989, l'explosion d'un DC-10 français d'UTA au-dessus du Niger (170 morts). Pour ses voisins, Kadhafi fraye avec les islamistes radicaux. Durant sa décennie noire, l'Algérie devait l'apprendre à ses dépens, ses maquis terroristes étaient infestés de Libyens. Moussa Koussa sort de l'ombre en 1994 lorsqu'il est annoncé officiellement chef des services de renseignements, ce qui a fait de lui le plus puissant de Libye après Kadhafi. Il est l'un des rares personnages à avoir accès au “Guide” 24 heures sur 24. En 2003, il fut l'artisan du retour de la Libye sur la scène internationale. Terrifié par le sort réservé à Saddam Hussein, Kadhafi le charge d'entamer des négociations avec les services secrets de Londres, Washington et Paris. Et Moussa Koussa devient le meilleur ami de ses collègues occidentaux. Il leur ouvre ses dossiers sur les groupes terroristes, que son pays a financés et entraînés, sur les Libyens et autres Arabes qui avaient rejoint El-Qaïda en Irak et sur d'autres fronts islamistes, notamment sans la vaste région sahélo-saharienne. En décembre 2009, Kadhafi le nomme ministre des AE. S'était-il débarrassé d'un homme devenu plus puissant avec ses nouvelles amitiés occidentales. À Tripoli, il se disait que Moussa Koussa n'était plus admis dans le premier cercle. Reste que les frappes aériennes de la coalition l'ont sans doute convaincu qu'il était temps de passer du côté des vainqueurs. Sa fugue à Londres a réjoui également les Américains qui certainement y ont dépêché leurs agents de la CIA. Moussa Koussa a emporté avec lui tous les secrets de Kadhafi. C'est d'autant plus utile pour Washington que le président Obama vient de donner son feu vert à la CIA pour intervenir en Libye aux côtés des insurgés. Les services américains ont encore beaucoup d'interrogations sur la nature de l'insurrection libyenne et sur l'identité de ses dirigeants, estiment des spécialistes. Il est à se demander si l'ex-barbouze en chef libyen n'a pas été infiltré par la CIA depuis 1978, ses années d'études au sein de l'université américaine du Michigan ? Juste après son diplôme, Moussa Koussa a inauguré sa carrière dans les services spéciaux comme responsable de la sécurité des ambassades libyennes en Europe du Nord : il a traqué les opposants de Kadhafi en exil, dont une demi-douzaine sont abattus entre 1979 et 1982. Pour Washington, sa défection constitue un indice sur le fait que les gens entourant Kadhafi pensent que sa fin est proche. D. Bouatta