Résumé : Aïssa avait perdu toutes ses femmes, sans qu'aucune d'elle ne lui donna un héritier. Certes, il prenait de l'âge, mais il estima qu'un homme demeure viril jusqu'à sa mort. Pour cela, il décida d'aller retrouver son ami Kaci, afin de demander la main de Ghenima. Il se promet d'en parler à Kaci. Après tout, Kaci était presqu'un parent. Enfants, ils avaient joué ensemble et partagé le même croûton de pain. Kaci ne va tout de même pas refuser la main de Ghenima à quelqu'un comme lui. Certes, il avait pris de l'âge, perdu presque tous ses cheveux et sa moustache était aussi blanche que cette neige qui recouvrait les hautes montagnes en hiver. Mais cela importait peu. Lui au moins saurait prendre soin de cette “gazelle” si fraîche et si agréable à regarder. Et il sentit que cette fois-ci, son rêve d'être père était à portée de main. Ghenima était si pleine de vie que ses entrailles ne devraient pas refuser de porter le germe de l'éternité. Aïssa pousse un soupir rêveur. Il aura ses descendants, des garçons, que des garçons. Et ensuite, pourquoi pas, des petits-garçons. Sa famille sera prospère, et il pourra enfin quitter ce monde, en ayant le sens du devoir accompli. Le jour de la cueillette des olives, il ne rate pas l'occasion de rencontrer l'élue de son cœur. Elle était là, plus belle que jamais dans sa robe rouge, et son foulard en soie, dont les franges encadraient un visage poupin et rieur. Des yeux de biche, aux longs cils noirs, et une bouche aussi gourmande qu'une cerise fraîche. Aïssa passe une main sur son cœur qu'il sentit palpiter. Pourquoi attendre plus longtemps, et subir toute cette souffrance ? Vite ! Il faut qu'il passe à l'action avant qu'il ne soit trop tard. Ne doit-on pas battre le fer pendant qu'il est chaud ? Le jour-même il en parla à Kaci. Ce dernier faillit s'étrangler avec le café qu'il sirotait sous un olivier centenaire. Quoi ? Sa fille Ghenima, avec ce vieux fou ? L'image devint irréelle devant ses yeux. Non, il n'arrivait pas encore à en croire ses oreilles, ni à admettre que Aïssa venait de lui demander la main de sa fille. Il tente de trouver une réponse plausible, afin de repousser cette proposition sans froisser la subtilité de son ami. Mais ce dernier avait déjà échafaudé des plans, et parlait de trousseau coûteux, d'une grande fête, et d'un mariage somptueux. Du jamais vu au village, ne cessait-il de répéter. Ghenima méritait tout le bonheur du monde. Et seuls la puissance et l'argent pourraient lui faire atteindre ce stade. N'était-il pas le plus riche, et le plus puissant homme du village ? Que demander de plus à la providence ? Kaci reste muet de stupeur un long moment. Et Aïssa prit ce silence pour une marque de respect. Bien sûr que Kaci est surpris, il ne s'attendait sûrement pas à ce qu'il lui fasse un tel honneur ! Kaci s'était redressé et avait déposé sa tasse de café sur le sol, avant de remettre en place sa chéchia qui venait de glisser, dégageant un front dégarni et quelques touffes de cheveux blancs. Aïssa sourit. Kaci, était aussi vieux que lui ! N'aimerait-il donc pas assurer l'avenir de sa fille unique avant de quitter ce monde ? Cette éventualité lui rendit l'espoir, et il tapota l'épaule de son ami, avant de lancer : - Bien sûr, tu n'es pas obligé de me donner une réponse tout de suite. Prends le temps de bien réfléchir mon cher ami, et estime-toi heureux, car ce n'est pas toutes les filles du village qui auront le privilège de tomber sur un parti comme moi, ou de vivre sous mon toit. Kaci allait riposter qu'aucune famille de leur village n'accepterait plus de s'allier à lui. Il portait la poisse et les femmes fuyaient à son passage. Mais le vieil homme se retint de justesse. Il n'allait pas écouter ce vieux fou. La solitude a dû affecter son cerveau, et d'ici demain, il ne va même pas se rappeler de ce qu'il venait de dire. (À suivre) Y. H.