Mme. Khalida Toumi est intervenue, hier, à l'Assemblée pour tenter d'“expliquer”, devant quelques députés présents dans les travées, les raisons qui ont amené les autorités à suspendre certains journaux. Les explications qu'elle a avancées n'ont convaincu personne, même elle peut-être, car la décision la dépasse. Sa réponse qui s'étale sur trois feuillets est une anthologie de la contradiction et des contre-vérités. Car, les belles professions de foi qu'elle a affirmé défendre, sur la liberté de la presse et la démocratie, tranchent malheureusement avec la réalité. “Des craintes que la presse soit de nouveau bâillonnée, que la presse soit réduite, comme le dit monsieur le député, à retourner à la case de départ ! Jamais, parce que cela n'appartient pas à ma culture”, clame Khalida Toumi. Nous voudrions bien croire et nous ne demandons qu'à croire d'ailleurs à cette déclaration de principe. Mais les faits sont là pour prouver le contraire. Quand on décide en haut lieu de suspendre 6 journaux qui ont la particularité de ne pas chanter des aubades à la gloire de Bouteflika, cela s'appelle bien une tentative de bâillonner la presse. Et dès lors, il ne sert plus à rien de tenter une appropriation illégitime de la mémoire des journalistes qui ont payé de leur vie pour que cette presse soit définitivement libérée des velléités de mainmise et de contrôle. “Rappelons-nous que la famille des médias a été particulièrement ciblée par ceux qui voulaient la censurer par la terreur, par el-mahchoucha, par les couteaux égorgeurs, par la voiture piégée, etc. Une centaine de chahids dans la corporation pour que la presse soit libre et indépendante.” Mme Toumi a tout a fait raison de faire ce rappel, mais elle omet volontairement de reconnaître que les pouvoirs publics ne sont pas moins criminels que les terroristes. La différence tient à la nature du moyen utilisé. Pour les premiers, c'est la violence ; pour les seconds, c'est le chantage par les imprimeries. À propos de ces imprimeries, Mme la ministre tente de faire croire que les responsables des imprimeries ont agi de leur propre chef, en bons gestionnaires soucieux de la santé de leurs entreprises. “De quoi s'agit-il ? Il s'agit en fait, et tout le monde le sait, d'une demande faite par les sociétés d'impression à un certain nombre de leurs clients, les plus endettés, de se mettre à jour, en d'autres termes payer leurs dettes”, explique Mme Toumi qui ose remettre encore sur le tapis le fameux argument de commercialité. Mais, dans ce cas, pourquoi certains titres et pas d'autres ? La logique commerciale aurait en effet voulu que les responsables des imprimeries ne fassent pas dans la politique du deux poids deux mesures. Autrement dit, soumettre tous leurs clients au même traitement, en les invitant à payer tous leurs ardoises. Or, beaucoup de titres qui ont des ardoises faramineuses au niveau des imprimeries ne sont pas inquiets. La raison est qu'ils ont troqué leur autonomie contre la bienveillance des imprimeries de l'Etat. N. S.