Le lourd contentieux historique entre les deux peuples et les deux Etats, peut-il être mis entre parenthèses sous l'autel de la realpolitik ? Pour Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat français au commerce, “ceux qui regardent dans le rétroviseur se trompent de direction. Et c'est trop souvent le cas dans la relation franco-algérienne… Une nouvelle page est entrain de s'ouvrir”. Abdelmadjid Bouzidi, professeur d'économie et ancien conseiller à la présidence de la République chargé des questions économiques, dans une réflexion sur les relations entre les deux pays, intitulée “Enfin le gagnant- gagnant ?” s'est interrogé : “Est-ce enfin le vrai départ ?” Question dont la gravité, s'il en faut, se justifie par les nombreuses tergiversations, dans un passé récent, de la partie française qui ne voulait voir en notre pays qu'un débouché commercial pour écouler ses marchandises. La levée de boucliers ! La réaction de la France et notamment celle des responsables du port de la ville de Marseille – dont le courroux ne pouvait s'expliquer que par des “atavismes néocoloniaux” de l'ancienne puissance occupante – après l'adoption des mesures contenues dans la loi de finances complémentaire 2009, avaient fait réagir Ouyahia qui avait qualifié ces décisions de légitimes et relevant de la souveraineté nationale, en réponse à la levée de boucliers observée sur la rive nord de la Méditerranée. Au même moment, anticipant sur les conséquences de telles réactions au niveau des autorités algériennes, Laurence Parisot, présidente du Medef lors de sa visite à Alger en novembre 2009, avait déclaré : “L'Algérie est un pays riche, présentant d'énormes potentialités pour les firmes françaises. Nous avons l'ambition d'y rester le premier investisseur.” L'heure du pragmatisme ou le début du dégel ? En vérité, le gouvernement français, prenant la mesure de l'importance du marché algérien, et constatant l'érosion de la part de ses entreprises sur ce même marché – qui est passée de 25% il y a de cela quelques années, à 15% aujourd'hui –, du fait notamment de la rude concurrence qui les oppose à d'autres puissances et aux pays émergeants, tels que la Chine et la Turquie, s'est rendu à l'évidence et revoie sa stratégie en direction de notre pays. “La donne a radicalement changé et le mythe de la chasse gardée du marché captif ou du marché facile est finie… La concurrence n'est plus seulement allemande, américaine ou italienne. Elle est aussi chinoise, coréenne et turque ; elle est efficace et sans complexe.” C'est en ces termes que Pierre Lellouche s'est adressé aux 200 patrons français, venus en force, assister au Forum économique algéro-français sur les PME, qui s'est tenu du 30 au 31 mai à Alger. Cette rencontre, coprésidée par Mohamed Benmeradi et Jean-Pierre Raffarin, respectivement ministre algérien de l'Industrie de la PME et de la Promotion de l'investissement et ancien Premier ministre français et néanmoins, influent homme politique au sein de la majorité parlementaire de son pays, chargé du suivi de la coopération économique entre l'Algérie et la France, a regroupé environ 700 PME dont 500 algériennes et 200 françaises et a suscité plus de 4 000 rendez- vous d'affaires entre les entreprises des deux pays. L'ombre du lobby anti-algérien Dans son allocution lors de ce forum, Raffarin a déclaré entre autre réflexions : “Le défi auquel nous faisons face, c'est de créer au niveau local des emplois pour que les populations puissent trouver leur épanouissement chez elles”. Voilà qui est dit ! Que les Algériens restent chez eux ! Cette approche ne peut-elle pas, somme toute, être interprétée comme un compromis en direction des lobbys anti-algériens ? Interprétation vite dissipée pourrions-nous dire par Pierre Lellouche “La relation de cœur profonde et la solidarité qui lient les deux pays en dépit de toutes les difficultés et de ce que l'on peut entendre ici et là”, c'est là, un aveu du secrétaire d'Etat français au commerce qui découvre subitement une amitié avec les Algériens. Ce qui ne le n'a pas empêché, au même moment et dans les mêmes lieux, de recouvrer sa vraie nature, pour riposter à une question des journalistes à propos des déclarations de Kouchner sur la génération de Novembre 54 : “La plupart des jeunes dans nos pays sont nés après 62. Ce qui doit nous occuper, c'est l'avenir. On ne va pas rejouer les guerres et les douleurs du passé. Je le crois vraiment… Le monde est en train de changer vite, avec l'émergence de nouvelles puissances. Les liens entre l'Afrique et l'Europe, ont une signification complètement différente par rapport au XXIe siècle. Notre intérêt c'est de regarder ensemble vers l'avenir dans le respect mutuel sans faire l'impasse sur ce qui s'est passé. Il ne s'agit pas d'oublier.” Oui, monsieur Lellouche, il ne s'agit pas d'oublier ! Les Algériens sont d'accord avec ce que vous affirmez, si par ailleurs, vous manifestez l'audace et le courage politique de reconnaître la part de votre responsabilité historique dans ce qui arrive aux jeunes Maghrébins d'aujourd'hui. Alors tout sera possible et nos deux peuples construiront, dans leurs intérêts mutuels, des relations apaisées au-delà des seules préoccupations économiques. La France, premier fournisseur et deuxième client de l'Algérie Il faut rappeler tout de même, que bien qu'ayant perdu des parts sur le marché algérien, la France demeure notre premier fournisseur avec près de 6 milliards de dollars et notre quatrième client avec 4,5 milliards de dollars en 2O10 selon les chiffres des douanes algériennes. En outre, les statistiques avancées lors de ce forum par Ubifrance, évaluent les IDE français en Algérie à 2,5 milliards d'euros ce qui fait de ce pays le premier investisseur hors hydrocarbures et le deuxième tous secteurs confondus derrière les USA.