L'attentat d'Oslo n'est plus dans vos chaînes de télévision occidentale, pourtant leur gravité n'est pas discuter, pourquoi ce désintéressement ? est-ce l'été ? L'actualité trop chargée ? ou tout simplement les origines et la confession de l'auteur du crime. Julien Salingue, chercheur et spécialiste des médias, propose sur son site acrimed.org un décryptage du deux poids deux mesures du traitement médiatique à l'occidental. Extraits dans les heures qui ont suivi les tueries d'Oslo, nombre de médias ont “automatiquement” privilégié l'hypothèse-certitude de la “piste islamiste”. Quelques heures plus tard, la piste a dû être abandonnée et le coupable idéal innocenté. Nous avons alors assisté à un étrange ballet, déroutant pour quiconque a gardé en mémoire, par exemple, la couverture médiatique des attentats de Madrid (mars 2004) et de Londres (juillet 2005). Comme si l'identité du tueur justifiait que le traitement des massacres diffère largement de celui des attentats commis par ceux qui sont génériquement désignés comme des “terroristes islamistes”. Un exemple exemplaire des “doubles standards” propres aux médias dominants : selon que vous serez musulman ou chrétien, les jugements journalistiques... I. Une relative sous-médiatisation Si les tueries de Norvège ont immédiatement occupé la “une” de la quasi-totalité des grands médias [1], force est de constater que leur surexposition médiatique s'est très rapidement atténuée, à mesure que l'identité et les motivations du tueur étaient connues. Comme si la presse, découvrant que le “terroriste” n'était pas “islamiste”, avait jugé que l'information devenait soudain moins digne d'intérêt. Les “unes” de Libération sont à cet égard exemplaires, surtout si on les met en regard de celles qui ont suivi les attentats de Madrid et de Londres. II. Des enquêtes sur les motivations du tueur Deuxième surprise, et pas des moindres. Plusieurs quotidiens et hebdomadaires ont tenté de comprendre ce qui avait pu motiver le tueur, sans se borner à l'attribuer à son fanatisme religieux. Un souci d'analyse que l'on ne rencontre guère quand “l'islamisme” est en question. Mieux connaître le tueur pour comprendre son geste Le “manifeste” de plus de 1 500 pages publié par l'auteur des tueries d'Oslo, quelques heures avant son passage à l'acte, a été ausculté, commenté et, plus ou moins, analysé… afin de “comprendre” ce qui avait pu pousser ce jeune Norvégien à basculer dans l'ultra-violence. Et nombreux sont ceux qui, à l'image de l'Express (voir ci-dessus), ont tenté de déterminer “les raisons d'un massacre”, admettant à mots couverts que les tueries méritaient, cette fois, non seulement d'être condamnées mais d'être expliquées en détail : des explications qui, pourtant, tournent vite à l'enquête de personnalité. Nous n'avions pas été habitués à un tel zèle de la part de titres et d'éditorialistes qui ont plutôt coutume d'attribuer les actes terroristes, en tout cas lorsqu'ils sont l'œuvre d'intégristes musulmans, non à leurs motivations personnelles, mais presque exclusivement à leurs motivations politique et religieuse, et notamment à leurs références irrationnelles au “Jihad”. Expérience mentale : combien d'éditoriaux vengeurs auraient voué aux gémonies toute tentative d'expliquer “rationnellement” les motivations individuelles des kamikazes de Londres (dont les liens avec Al-Qaïda, il convient de le rappeler, ont été démentis pas les enquêteurs) ? Combien de voix condamnant la complaisance coupable à l'égard du “terrorisme islamiste” se seraient élevées si un journal avait titré “Madrid : les raisons d'un massacre” ? Conclusion : un acte terroriste, s'il n'est pas l'œuvre d'un musulman, mérite d'être expliqué précisément. Sans pour autant être excusé, il peut être “compris”. Les causes et les raisons de son acte doivent être rigoureusement circonscrites… Pour innocenter d'éventuels responsables. Analyser subtilement l'idéologie du terroriste Nombre d'articles, signés de journalistes ou d'intellectuels, ont établi un lien entre, d'une part, la montée des extrêmes-droites et des populismes en Europe et, d'autre part, le passage à l'acte d'Anders Breivik. Après le geste meurtrier d'un militant d'extrême-droite dénonçant “l'invasion musulmane” et le “multiculturalisme”, le débat sur les conséquences du développement d'idéologies stigmatisant les immigrés et/ou les musulmans est plus que légitime. Mais quelques habiles on fait preuve d'un sens des nuances et des distinctions auquel ils ne nous avaient pas habitués en d'autres circonstances. Alors que “l'islamisme” (grossièrement et globalement désigné) – que l'on prend soin de distinguer de “l'Islam” (toujours évoqué, rarement analysé) - suffit à expliquer les actes de terreur de ceux qui se réclament de la religion musulmane, les croyances que mobilise le tueur d'Oslo et qui lui servent d'alibi mériteraient seules d'être passées au tamis pour que la responsabilité de ceux qui les propagent soient dégagées… Identifier d'improbables responsables Certains sont allés encore un peu plus loin, en opérant un renversant changement de perspective. Nous avions déjà mentionné, dans notre précédent article, ce reportage de TF1 dans lequel on apprenait que les “tensions” générées par les “populations immigrées” et les “musulmans” en Norvège faisaient “le terreau de l'extrême-droite et des intégrismes religieux chrétiens ou musulmans”. À défaut d'être coupables, les musulmans étaient ainsi indirectement responsables des attentats. Il est frappant de constater que le manifeste d'Anders Breivik multiplie les références aux croisades, en se réclamant des Templiers, comme s'il cherchait à mimer les appels au djihad lancés par les radicaux islamistes. Le recours à des actes qui suscitent le plus de morts possible, avec la volonté expresse de déclencher un choc dans la société, est, en fait, une image inversée du terrorisme d'Al-Qaïda. Dix ans après les attentats du 11 septembre 2001 et quelques mois après sa mort, il est inquiétant de voir l'héritage de Ben Laden récupéré par un fondamentalisme de signe opposé. Nous y voilà : c'est Ben Laden qui se cache derrière la tuerie d'Oslo ! Que conclure, sinon que les médias occidentaux sont bien les médias de l'Occident et que les éditocrates qui les décorent méritent bien d'être décorés à leur tour pour leur ethnocentrisme radical ?