Mohammed VI considère ses émigrés comme une menace pour son trône. Il tente de les encadrer comme l'avait fait avant lui Hassan II son père. Selon des révélations du quotidien madrilène El Pais, qui cite des rapports confidentiels des services de renseignement ibèriques et des ministères espagnols de l'Intérieur et de la Justice, le Maroc aurait élaboré une stratégie de grande envergure destinée à étendre son influence et renforcer son contrôle sur la population d'origine marocaine établie en Espagne, et ce par le truchement de divers canaux, dont la religion. L'opération a été éventée par CNI (Centre national du renseignement, la CIA espagnole), dont le directeur Felix San Roldan a présenté en mai dernier un rapport “top-secret” aux ministres de l'Intérieur et de la Défense. Mohammed VI a donc repris à son compte le réflexe de son défunt père Hassan II, lequel, tout au long de son règne, avait infiltré son émigration, n'hésitant pas à recourir à des méthodes inavouables pour tenir en laisse ses ressortissants à l'étranger. Jusqu'à des enlèvements dans des pays étrangers, comme ce fut le cas de Ben Barka à Paris pour être assassiné dans son pays. L'enquête sur cette affaire, n'a, d'ailleurs, toujours pas été menée jusqu'à son bout. Les tenants et aboutissants de la disparition de ce célèbre opposant ne sont pas élucidés selon sa famille qui exige la vérité. Pour autant, la nouvelle mesure de Mohammed VI est en porte-à-faux avec la politique d'ouverture et de démocratisation dont il s'enorgueillit et que la France, entre autres, donne en exemple dans le printemps arabe. Le roi s'occupe donc du premier cercle de son émigration établie de l'autre côté des rives du Maroc, en Espagne. La communauté marocaine immigrée dans ce pays compterait près de 760 000 âmes, auxquelles il faut ajouter 70 000 personnes ayant acquis la nationalité espagnole. C'est celle qui a gardé le plus d'attaches avec le pays des racines et qui vit au quotidien ce qui s'y passe. Selon, le CNI, les services de Mohammed VI chercherait par tous les moyens à encadrer dans son maillage cette population, afin d'éviter l'émergence en son sein de mouvements d'opposition au makhzen. Pour faire partager ce plan par les pays d'accueil de ses émigrés, le Maroc le présente comme un paravent contre la propagation au sein de ses ressortissants d'idées islamistes lesquelles, par ailleurs, considèrent comme hérétique la doctrine officielle marocaine qui veut que le roi soit la seule autorité religieuse des Marocains, en sa qualité de commandeur des Croyants. Au Maroc, l'islam officiel est de rite malékite, s'il est considéré comme modéré en comparaison au wahhabisme pratiqué en Arabie Saoudite ou aux différents courants salafistes qui prônent un rigorisme extrémiste et le djihad, il est toutefois rejeté par les courants radicaux marocains qui réfutent la suprématie religieuse du monarque. D'ailleurs, sur ce sujet, on assiste à une vraie compétition entre le trône et ses radicaux hors des frontières du Maroc pour le leadership religieux. Le principal outil de contrôle utilisé par Mohammed VI, selon le CNI, serait la Fédération espagnole des entités religieuses islamiques dont le président, Mohamed Ali, est établi à Ceuta, la ville enchâssée dans le nord marocain comme une enclave espagnole. Une manière pour le roi de rappeler à son voisin espagnol que cette terre est marocaine et qu'il pourra demander son départ. La fédération finance tout le maillage des services marocains en Espagne, à travers notamment ses multiples centres culturels comme le Centre culturel marocain islamique de Catalogne. Les subventions de l'Etat marocain à ces organismes servent exclusivement au soutien du trône, a établi le CNI. Le Maroc n'utilise pas seulement le tissu d'associations religieuses qu'il contrôle en Espagne, mais aussi un millier de lieux de culte, mosquées et moussalas, répertoriés par le ministère de l'Intérieur espagnol et qui comptent des centaines de prédicateurs payés confortablement contre leur allégeance au trône alaouite et leur engagement de suivre à la lettre ses recommandations. Le CNI ajoute à cela l'influence effective de la diplomatie marocaine à travers son ambassade, ses consulats, ses nombreux réseaux informels ainsi que par le biais de la Fondation Hassan II, une grande association caritative et de lobbying dédiée aux Marocains résidents à l'étranger et présidée par la princesse Lalla Meryem, sœur du roi Mohammed VI et dont le budget n'est pas soumis à l'examen du Parlement marocain. La Fondation, officiellement, se charge de l'enseignement de la langue arabe et de la culture marocaine. Rien qu'en Espagne, elle dispose d'un réseau de plus d'une centaine de centres éducatifs. La monarchie contrôle ainsi sa diaspora et ses binationaux à l'étranger. Pour rester attractif, le Maroc accorde évidemment toutes les facilitations et accompagnements à ses communautés établies hors du pays. Cependant, certains pays européens qui accueillent des immigrés marocains ou d'origine, ne voient pas d'un bon œil les agissements de Mohammed VI et le lui ont fait savoir comme les Pays-Bas qui protestent souvent contre des attitudes d'ingérence du Maroc dans les affaires de communautés marocaines et de culture marocaines établies sur son sol. Les Pays-Bas accueillent la plus grande diaspora marocaine à l'étranger. Pour finir, le rapport des services ibériques conclut que le grand ordonnateur de cette opération n'est autre que Yassine Mansouri, le puissant patron de la DGED (Direction générale des études et de la documentation), le contre-espionnage marocain.