La prestance des autorités marocaines à démentir les informations établissant un parallèle avec l'Egypte et la Tunisie et à interpeller le gouvernement espagnol cache mal la peur d'un soulèvement populaire, comme l'indiquent le déplacement confidentiel du souverain alaouite en France et le déploiement de troupes rappelées du Sahara occidental, à Rabat et Casablanca. Mohammed VI redoute-t-il un scénario à la tunisienne ou à l'égyptienne chez lui ? Les mouvements de troupes des forces armées royales (FAR) vers certaines grandes villes marocaines, notamment Casablanca et Rabat, et le Sahara occidental, rapportées par la presse espagnole et surtout son voyage dans la plus totale discrétion à Paris, sont des faits qui accréditent cette thèse. Le souverain marocain fait, certes, de nombreux déplacements en France, surtout privés durant l'année sans que les médias ne leur accordent d'importance particulière, mais cette visite n'est pas passée inaperçue. Selon la presse française, le roi serait arrivé seul dans la nuit de jeudi à vendredi en France, et se serait rendu dans le château que la famille royale possède à Betz, dans le département de l'Oise. À en croire, le journaliste marocain Ali Lmrabet, ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire Le Journal, Mohammed VI s'est rendu en France pour avoir l'avis de Nicolas Sarkozy sur la situation au Maroc. Il ajoute également que “des troupes ont été ramenées du Sahara pour être prêtes à… intervenir dans la capitale et à Casablanca”. Ceci étant, on ne peut que s'interroger sur les véritables raisons de ce séjour en France, si tout allait aussi bien que ne l'affirment les médias officiels du royaume. Le gouvernement marocain sur le qui-vive Les autorités marocaines ont vivement démenti dimanche soir l'envoi de troupes à Casablanca ou ailleurs et tout rapport avec cette crainte de manifestations. Le démenti n'a pas fait référence à l'information concernant la visite du roi en France. En effet, le gouvernement a démenti avec grande fermeté avoir rappelé des troupes déployées dans le Sahara occidental pour parer à d'éventuelles manifestations dans des villes marocaines, comme le rapportaient des journaux espagnols. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères Taieb Fassi-Fihri a convoqué l'ambassadeur d'Espagne et eu un entretien avec le chef de la diplomatie espagnole pour lui exprimer “l'indignation” du Maroc face à ces “agissements irresponsables”. Il faut croire que Rabat a été sérieusement indisposée par les écrits de la presse espagnole, car même le ministre de l'Intérieur en a informé son homologue ibérique attirant son attention sur “la gravité de la perpétuation de ces dérapages médiatiques à répétition”. Pour information, de nombreuses publications espagnoles et des sites Internet reprenant une information postée sur sa page facebook par le journaliste marocain Ali Lmrabet, avaient rapporté que des troupes auraient été rappelées du Sahara occidental pour être prêtes à intervenir en cas de troubles. Dans un point de presse, à Rabat, le porte-parole du gouvernement marocain, Khalid Naciri, a indiqué que le gouvernement considère ces fausses nouvelles comme “un comportement non professionnel et totalement étranger aux règles et à la déontologie d'un exercice médiatique sain”. Il soulignera qu'il s'agit “d'une extension naturelle des méthodes de travail utilisées par certains médias couvrant l'actualité marocaine”. Il aboutira à la conclusion que “cela montre éloquemment au monde entier le degré d'implication d'un certain nombre de médias espagnols dans la manipulation de l'information et la falsification, et qui ont fait l'objet d'une ferme condamnation de la part d'ONG et d'instances représentatives des médias et des droits de l'Homme nationales et internationales”. Mais, son avis est loin d'être partagé par tous les Marocains, comme le montre cette déclaration du professeur de science politique à l'université Hassan-II de Casablanca, Mohammed Darif, qui en faisant allusion à cette réaction, estimera que “parfois, le gouvernement fait preuve d'une certaine nervosité qui n'est pas toujours utile”. D'après lui, “le rôle de tout gouvernement est de prévenir tout ce qui pourrait favoriser l'instabilité”. Même si le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Khalid Naciri, avait affirmé, la semaine dernière, que cette décision n'était pas influencée par la révolte tunisienne qui a chassé le président Ben Ali, le gouvernement marocain a pris des dispositions exceptionnelles pour maintenir les subventions sur les produits de base comme la farine, le sucre, l'huile et le gaz butane afin d'éviter que leurs prix ne flambent. En dépit de toute l'assurance qu'affiche le Makhzen, la presse marocaine évoque tout de même l'éventualité d'une contagion au Maroc des évènements de Tunisie et d'Egypte. Dans une interview au Nouvel Observateur, Aboubakr Jamai, fondateur d'un journal critique aujourd'hui disparu, le Journal hebdomadaire estime notamment dans cette interview que “si le Maroc s'embrase, la disparité des richesses y est telle que la révolution y sera beaucoup plus sanglante qu'en Tunisie”. Le prince Moulay Hicham s'invite au débat Dans une interview publiée lundi par le quotidien espagnol El Pais, le prince Moulay Hicham, surnommé le “prince rouge” pour ses critiques de la monarchie, a pour sa part estimé que si le “Maroc n'a pas été encore atteint” par la vague de contestation sociale et politique qui secoue les pays arabes, “il ne sera probablement pas une exception”. Le cousin de Mohammed VI dira : “Mais il ne faut pas se tromper : presque tous les systèmes autoritaires seront affectés par la vague de protestation. Le Maroc ne sera probablement pas une exception.” Il s'interrogera sur la réaction des différents acteurs en ajoutant : “Reste à voir si la contestation sera sociale ou bien aussi politique et si les formations politiques, influencées par les récents évènements, bougeront.” Le prince, qui occupe la troisième place pour la succession au trône du Maroc, trouve que dans ce pays “la dynamique de libéralisation politique entamée à la fin des années 1990 a pratiquement pris fin. Redynamiser la vie politique marocaine dans le contexte régional, en évitant les radicalismes, sera un grand défi”. Pour lui, la révolution tunisienne et les manifestations égyptiennes représentent une “rupture par rapport aux schémas antérieurs” n'ayant “aucun caractère religieux”, “anti-impérialiste” ou “anticolonialiste”. Le prince Moulay Hicham conclura en estimant que “l'Europe doit se réveiller, arrêter d'appuyer des dictatures qui ne sont pas viables et appuyer à fond les mouvements qui aspirent à un changement durable”. À signaler enfin, que plusieurs dizaines de personnes ont manifesté lundi devant l'ambassade d'Egypte à Rabat pour exprimer leur “solidarité” avec la lutte du peuple égyptien pour la démocratie. “Démocratie pour tous les peuples arabes”, “Moubarak dégage”, proclamaient des pancartes pendant qu'une petite centaine de manifestants scandaient des slogans hostiles au président égyptien, l'accusant notamment d'être “un pion des Américains”. La manifestation a été surveillée par un solide dispositif policier.