El Pais, quotidien espagnol, révèle le contenu de messages diplomatiques américains relatifs au Maroc détenus par le site Wikileaks. Cette fois-ci, il s'agit de fraude électorale dans laquelle est impliqué le roi Mohammed VI. D'après ces révélations, le but était d'empêcher le parti islamiste PJD d'obtenir des mairies l'année dernière. Selon ces mémos diplomatiques américains, le maître d'œuvre de ces manipulations électorales est Fouad Ali el Himma, l'ami du roi que des observateurs avertis n'ont pas hésité à qualifier «d'expert en basses œuvres de police». Exploitant le contenu de ces documents, El Pais écrit que «si le Parti Justice et Développement (PJD, islamiste modéré) n'a pas aujourd'hui davantage de maires à la tête des grandes villes marocaine c'est, dans une large mesure, grâce aux manœuvres du souverain et de son grand ami Fouad Ali el Himma. Ce dernier a été autorisé à fonder le Parti Authenticité et Modernité (PAM) pour occuper le terrain et réduire la surface d'action et d'influence des islamistes. Ainsi, «après une courte étape de rodage, ce fut celui qui obtint le plus de conseillers municipaux lors des élections de juin 2009». Un leader du PJD mis dans le coma Un ancien ministre, l'ambassade de France à Rabat et deux autres sources ont rapporté aux diplomates américains en poste à Rabat que le « roi Mohammed VI ordonna que le PJD ne soit pas autorisé à conquérir les mairies de plusieurs grandes villes marocaines comme Tanger, Oujda, Casablanca et Salé où il obtint la majorité relative des suffrages ».»L'intervention du Palais royal fut plus éhontée à Oujda» qu'ailleurs. Dans cette ville d'un demi-million d'habitants à l'est du Maroc, rapporte El Pais en se référant aux informations américaines, «le gouverneur nommé par le ministère de l'Intérieur empêcha, le 25 juin 2009, un vote qui aurait porté au pouvoir une coalition dirigée par le PJD». «(...) Des agents de police et des services secrets intimidèrent ceux qui soutenaient la coalition du PJD et ils frappèrent le leader local du PJD jusqu'à ce qu'il tombe dans le coma». A ce «barbu» qui voulait devenir maire les coups «des hommes de la sécurité» lui causèrent une hémorragie cérébrale pendant qu'un bon nombre de ses partisans étaient carrément séquestrés par les forces de l'ordre pour les empêcher de voter. Le PAM, le parti de l'ami du roi, fut également de la partie pour bloquer la montée de ses adversaires islamistes. Il le fit avec le feu vert du Palais. Pour les Américains qui recensent toutes les faiblesses du système de pouvoir marocain, le parti de Himma «a souillé sa réputation comme formation réformiste et a renforcé les critiques qui le décrivent comme un instrument du Palais ». Tout ce qui s'est passé «frustrera» les islamistes modérés mais «ne suffira pas, probablement, pour les expulser du jeu politique». Ils peuvent d'ailleurs se consoler avec la conquête des mairies de villes secondaires comme Tétouan et Kenitra. «Le résultat de tout ceci peut consister à éroder encore davantage l'appui populaire au processus démocratique au Maroc», prévient un diplomate américain. Islamisme et corruption «institutionnalisée» D'autres observateurs ont noté, tout au long de ces dernières années, l'obsession du Palais royal d'avoir à faire face à une déferlante islamiste de type salafiste. On estime que le PJD fonctionne comme « un sas étroit entre la mouvance islamiste et le Makhzen ». Sur ce plan, des dirigeants marocains sous Hassan II et Mohammed VI ont eu à se délecter dans les années 90 des péripéties tragiques du « laboratoire algérien », c'est leur pays qui est aujourd'hui un nouveau laboratoire. Le Palais royal est totalement engagé dans une stratégie d'occupation du terrain par appareils politiques et associatifs, sous-tendus par l'ensemble de l'appareil répressif. Les islamistes sont présents, notamment dans la classe moyenne et au sein du « prolétariat ». L'équilibre politique semble maintenu. Le roi, « commandeur des Croyants », incarne le pouvoir suprême et toute critique directe ou remise en cause de son statut et de sa fonction est qualifiée d'antipatriotique. Il n'empêche que cette sacralité ou ce patriotisme de droit divin est écorné par ces révélations sur la fraude électorale et aussi sur la corruption au niveau du Palais royal. Les pratiques de corruption existaient durant le règne de Hassan II. Elles se sont institutionnalisées avec le roi Mohammed VI, rapporte d'autres câbles diplomatiques traités par le quotidien Le Monde. La corruption occupe une part non négligeable des télégrammes américains émanant du Maroc. Ils donnent l'image d'une pratique répandue dans le royaume, qui concerne les civils comme les militaires, ignore les classes sociales et touche jusqu'au Palais royal, écrit Le Monde. Un câble daté d'août 2008 avait, lui, mis l'accent sur la «corruption institutionnalisée» dans les hautes sphères des Forces armées royales (FAR), en particulier celles stationnées au Sahara Occidental. «Des rapports crédibles indiquent que le général Benanni utilise sa position de commandant du secteur Sud (le Sahara Occidental) pour récupérer de l'argent des contrats militaires et peser sur les décisions dans le domaine des affaires», indique Le Monde.