L'expression "Coran facile" est dans toutes les bouches. Mais lorsque quelqu'un veut apprendre, on le soumet souvent à l'exercice fatigant du parcourisme, même s'il s'agit du Livre saint. S'il a une bonne mémoire, il a plus de chance de réussir l'épreuve. Les autres doivent multiplier les exercices. Cette frustration est sentie avec des pincements tout en respectant scrupuleusement le texte sacré qui ne se discute pas. Pour apprendre le Coran, il faut se dépenser, cela devient presque la seule règle à suivre. Dieu vous donne la récompense ! Ce n'est pas la méthode des compagnons, qui privilégient d'abord la compréhension en respectant les règles rationnelles de lecture. L'apprentissage et la rétention découlent d'elles-mêmes. Une grande place est donnée à la méditation et à la connaissance de ce qu'ils lisaient. De plus, ils lisaient pour en en décortiquer le contenu et s'efforcer de le mettre en application. Ils ne passaient pas sur un verset sans qu'ils ne le lisent correctement et le comprennent parfaitement. Décrivant le comportement des premiers compagnons à l'égard du Coran, sourate El-Fourqane, dont nous allons présenter son architecture merveilleuse pour montrer l'exemple à suivre, dit d'eux “qu'ils ne passaient pas sur des versets avec légèreté”. Le père de l'exégèse disait : “Je m'étonne de ceux qui apprennent le Coran par cœur et ne le comprennent pas " ! Bonjour les dégâts ! Deux choix donc se présentent pour la lecture et la facilitation de sourate El-Forqane, celle dite ordinaire, malheureusement la plus répandue, manquant visiblement de raisonnement, de pédagogie ou disposant d'une pédagogie simpliste. Dans ce cadre, la sourate est approchée comme étant un assemblage de versets et il suffit de la fractionner arbitrairement en plusieurs parties pour en venir à bout. C'est juste si on vous demandait de bien exceller dans la prononciation des mots et d'observer les arrêts. Autre chose, rien. Résultat : on produit des monstres de la répétition. Sur le plan de l'interprétation, pas si sûr. Retenez votre souffle ! C'est malheureusement ce qu'on présente dans les manuels scolaires à nos enfants sans exception. La beauté du style, l'art de communiquer, les belles formes d'expression, l'éloquence, enfin tout ce qui attire et aide à la compréhension, à l'imagination et à la réflexion, tout cela ça peut attendre à plus tard et peut-être à jamais, empêchant tout décollage de la pensée. Le poids des habitudes et des déviations aidant, il sera difficile de remonter la pente. Dans la vraie voie des prédécesseurs ! Le deuxième, celui inspiré de la pratique des premiers prédécesseurs comme le note la sourate, part d'une autre logique. Il s'agit de bien fouiller d'abord pour dégager un plan d'approche cohérent avec la structure thématique de la sourate, en mettant en exergue les formes expressives du texte et sa construction. C'est à cet exercice que le professeur Hassen Hanbaka s'était donné en interprétant sourate El-Fourqane dans son ouvrage portant le titre de “L'interprétation de sourate El-Fourqane dans une unité thématique”. Voilà du nouveau et du concret. Quelle mouche a piqué ce professeur éclairé à se révolter contre des pratiques paralysantes très ancrées dans nos mœurs, devenant par la force des choses des certitudes et une fatalité, en invitant à une autre approche, méthodique et moderne celle-là, du Coran, basée sur l'esprit critique et l'analyse scientifique ? Parce que se dégageant des analyses plates qui tournent en rond, avec des langages creux et non porteurs, ce qui risquait de lui engendrer des attaques en règle et pourquoi pas un boycott ou une fetwa en pure et due forme, il a pris les devants en soutenant que tout ce qu'il avait entrepris, conformément à la pure tradition dans la lignée des grands prédécesseurs. Il avait pondu son ouvrage rarissime dans l'interprétation coranique pour répondre, tenez-vous bien, au désir pressant de ses élèves. Preuve à l'appui ! Passé cette précaution d'usage, il annonça la couleur en présentant en préambule la sourate avec l'aide d'un schéma détaillé en faisant ressortir d'emblée une logique de la sourate, centrée autour d'un thème principal, la base de la croyance, comme mentionné dans le premier verset avec quatre axes secondaires : Allah comme finalité, le Coran comme message transmissible, le Prophète (P. et S. sur lui) comme messager et enfin les destinataires, les hommes, par nature des mécréants, pour leur faire entendre le message qui leur est destiné. Il ne s'arrête pas là. Partant de ce schéma, il va détailler la sourate à quelques versets près en les répartissant sur les sous-thèmes liés aux quatre thèmes principaux avec une grande précision. Une fois cette problématique dégagée, l'auteur chapitre son ouvrage en douze parties avant de passer à l'interprétation dans un cadre éclairé. En vérité, cette sourate, tout en restant dans cette logique thématique, peut être encore simplifiée en une symétrie opposant, d'un côté, les mécréants et leurs attaques en règle contre le Coran, et de l'autre, l'attitude très sage des gens du Miséricordieux et leur amour pour le Coran, pour paraphraser l'éminent penseur Jacque Berque qui lui distingue les sourates selon des schémas structurels basés sur le système binaire, opposant deux contraires, Dieu et son vis-à-vis, Satan, les croyants et les mécréants, le bien et le mal, la réussite et l'échec et ainsi de suite. Pour le profane, ce ne sont que de simples répétitions. Pour celui qui réfléchit, ce sont des éléments de base servant à la construction de modèles de lecture. Dans cette sourate, cela se justifie pleinement. C'est la preuve que le Coran se lit avant tout intelligemment. (À suivre) S. B. Email : [email protected] Prochain article : Sourate El-Forqane, une symétrie comparée entre les serviteurs du Miséricordieux et les mécréants