L'imprimerie de Aïn Naâdja, copropriété du quotidien El Watan et El Khabar a fait l'objet d'une tentative de sabotage, dans la soirée de mercredi dernier. Entre 21h30 et 22h, une centaine de jeunes, dont certains armés de cocktails Molotov et de barres de fer ont attaqué le site, avec la ferme détermination d'y mettre le feu. Ils criaient : “Nous allons la brûler.” Devant la résistance opposée par les agents de sécurité, à cette épreuve de force, au niveau de l'accès principal, les assaillants ont essayé d'accéder à ce lieu, par une autre entrée située à l'arrière du bâtiment, pour se diriger vers le dépôt de rouleaux de papier. “Ils ont tenté de faire sauter le rideau de fer, visiblement dans l'intention d'incendier le dépôt de papier. S'ils avaient réussi, c'est toute l'imprimerie qui aurait pris feu”, raconte le chef d'édition d'El Watan, M. Omar Kharoum. La catastrophe a été évitée de justesse grâce à la mobilisation et la résistance des travailleurs, une vingtaine de minutes durant, empêchant physiquement ces jeunes de passer à l'acte jusqu'à l'arrivée de la police et de la gendarmerie. Cependant, une voiture appartenant à une société mitoyenne a été retrouvée complètement calcinée. De nombreuses vitres du bâtiment abritant la rotative ont également volé en éclats. Selon M. Omar Belhouchet, directeur du quotidien El Watan, “le site a été la cible d'un véritable commando. On a même remarqué la présence de guetteurs chargés de signaler l'arrivée des forces de l'ordre”. Les actionnaires d'El Watan n'arrivent pas à expliquer les motivations de cet acte. “Nous faisons partie des journaux aux côtés du Soir d'Algérie, d'El Khabar et de Liberté qui portons le plus les revendications des populations défavorisées, alors pourquoi ?” s'interroge M. Kharoum. En effet, les conditions de précarité dans lesquelles vivent ces jeunes et leurs familles ne justifient pas cette violence. Certains d'entre eux habitent dans le bidonville, situé en face de l'imprimerie. Une partie des occupants a bénéficié ces derniers jours d'un programme de relogement. De nombreuses familles demeurent dans l'attente d'un toit décent. Dans ce genre de situation, la révolte est dirigée habituellement contre les autorités locales en prenant pour cible les édifices publics ou en barrant les routes. L'imprimerie à été installée dans le quartier en offrant des dizaines de postes de travail. Beaucoup de jeunes de la localité travaillent au sein de cette rotative qui imprime cinq journaux, à savoir El Youm, El Khabar, El Khabar Erriadhi, Liberté et El Watan. Cette imprimerie privée a-t-elle été confondue, comme l'explique un riverain avec un bien public ? Avant de cibler l'imprimerie d'El Watan et El Khabar, ces groupes de jeunes se sont attaqués à un barrage de gendarmerie, situé à quelques dizaines de mètres en contrebas de l'entreprise, puis s'en sont pris à un bâtiment de la société des eaux Seaal qui n'a enregistré aucun dégât. “Ce geste nous laisse perplexes. Nous ne pouvons nous empêcher de le lier à l'annonce faite la veille de notre intention de créer une chaîne de radio et de télévision”, nous déclare M. Omar Kharoum, qui précise que “le calme n'est revenu sur les lieux que vers 1h du matin. D'autant que cet édifice, inauguré en 2007, n'a jamais fait l'objet d'une hostilité de la part des riverains. Cet acte condamnable a-t-il un lien avec le courroux des habitants du bidonville ? À supposer que ce soit là le motif qui a poussé les jeunes assaillants à s'en prendre à une entreprise de presse qui n'a aucun rapport avec l'objet de la contestation, alors pourquoi la colère s'est-elle cristallisée particulièrement sur cette imprimerie ? Faut-il y voir au contraire une action inspirée et orchestrée ailleurs, que par un mécontentement légitime mal contenu ? Cette histoire de distribution de logements ne serait-elle finalement qu'un écran de fumée pour intimider ou, plus grave encore, faire taire des journaux un peu trop libres au goût du pouvoir ? Cette thèse n'est pas écartée par les responsables et les journalistes des deux organes de presse, même si dans le communiqué commun d'El Watan et d'El Khabar, on s'est abstenu de tirer des conclusions hâtives en attendant les résultats de l'enquête des services de sécurité”. Dans ce texte rendu public, jeudi matin, il est souligné que “ce sont les travailleurs, les techniciens et les ingénieurs qui se sont opposés à cette tentative de destruction en empêchant physiquement ces jeunes de pénétrer dans les hangars d'ALDP. Les responsables d'El Khabar et d'El Watan félicitent le personnel d'ALDP pour ce comportement admirable qui a permis de protéger cet outil industriel indispensable à l'impression de journaux indépendants. Les responsables des deux journaux félicitent les responsables de la daïra de Bir-Mourad-Raïs, ceux de la Gendarmerie nationale et de la Sûreté nationale pour leur intervention diligente qui a contraint les groupes de jeunes à abandonner précipitamment le site”. Les directeurs des deux quotidiens ont annoncé leur décision de porter plainte auprès du tribunal de Sidi-M'hamed pour “faire toute la lumière sur cette affaire très préjudiciable à l'exercice libre et indépendant du métier de journaliste dans notre pays”, indique le communiqué. Dans la soirée de jeudi, un discret dispositif de sécurité a été mis en place devant l'imprimerie. Le bruit des rotatives a repris ses droits dans une ambiance moins pesante avec l'impression des éditions du vendredi des quotidiens El Watan et El Khabar ainsi que du journal sportif Erriadi.