A quoi sert le conte sinon à nous rappeler que le bien et le mal s'affrontent continuellement dans la spirale de l'histoire qui se répète, car ceci fait partie de l'équilibre du monde, et que l'homme est à la fois bourreau et victime, maître de son destin et une proie facile. Wadâa, Welja, Loundja et un bûcheron sont les héros aux destins non moins héroïques du recueil “Contes des trois rives”, dernier-né de Mourad Djebel, écrivain algérien installé en France. Après deux romans (“les Sens Interdits” et “Les cinq et une nuit de Shahrazède”) et un recueil de poèmes (“les Paludiques”), Mourad Djebel, né en Algérie en 1967, signe avec ce texte son quatrième ouvrage (le deuxième publié en Algérie), à la fois éloigné de son style d'écriture, mais très proche de ses thématiques habituelles, et ce, même si l'Algérie n'occupe plus la place centrale dans son œuvre. C'est dans le riche (et inexploré) patrimoine maghrébin qu'il puise les trames de ses quatre contes. L'auteur ravive le souvenir des contes racontés par sa mère… nos mères, et fouille dans la tradition orale afin de restituer des histoires qui semblent appartenir à un autre âge, mais qui portent, quand même, la marque du quotidien. Outre les créatures magiques (djinn, ogresse, génie…), les personnages dépeints attachent par leur simplicité, leur modestie et leur capacité à transcender leur condition. Si le poids des turpitudes de la quotidienneté leur pèse, ils ne sont aucunement résignés. Ils implorent Dieu, l'univers ou une autre puissance surhumaine pour alléger leur fardeau afin de rendre l'existence plus supportable. Les personnages de ce recueil au style dépouillé et à la langue accessible subissent l'injustice, se consolent avec la fatalité et espèrent que l'immensité de l'univers puisse contenir et éloigner le mal. Dans “Wadâa ou l'exil des sept frères” - la nouvelle qui inaugure ce recueil -, une jeune fille est séparée de ses frères, qui l'adoraient pourtant, par la malveillance de ses belles-sœurs. Elle traversera d'innombrables épreuves avant de retrouver sa famille grâce à l'aide et la bienveillance d'un inconnu. Pour Welja, c'est sa marâtre qui est la source de ses ennuis, mais là encore, ce sont ses rencontres et sa bonté qui l'épargneront. “Loundja bent el-Ghoula”, maudite par sa mère, l'ogresse, devra faire preuve de patience, de courage et de témérité pour fuir la prison dans laquelle l'enferme sa mère et reconquérir le cœur de son amoureux, rendu amnésique par un mauvais sort jeté par l'ogresse. Quant au bûcheron, il nous apprend que seul un cœur pur peut être touché par la grâce. Les quatre contes rappellent la sagesse populaire selon laquelle, lorsqu'on est bon ou qu'on fait preuve de bonté envers quelqu'un, ce n'est pas forcément cette personne qui va nous rendre la pareille. La vie est pleine de possibilités. En outre, les deux premières nouvelles sont détaillées, précises, et Mourad Djebel arbore une écriture efficace, tandis que les deux dernières sont moins détaillées, plus courtes. Ce déséquilibre n'altère, toutefois, en rien les trames, puisque l'auteur restitue l'atmosphère, parfois pensante, souvent fantastique, et la plupart du temps intrigante et mystérieuse, dans un style concis. A la lecture, on fait non seulement un saut dans l'histoire, un bond vers le passé, mais la moralité de ces contes reste d'une brûlante actualité. A quoi sert le conte sinon à nous rappeler que l'histoire est une spirale, un éternel recommencement. Le bien et le mal s'affrontent continuellement parce que ceci fait partie de l'équilibre du monde. Le conte vient nous rappeler que les enjeux d'hier sont encore ceux d'aujourd'hui… dans ce monde en souffrance ! Le conte est un des moyens qui peuvent nous aider à tirer des enseignements du passé, pour assumer ce présent brutal et regarder l'avenir sinon avec un peu de sérénité, en tout cas avec clairvoyance. l “Contes des trois rives” de Mourad Djebel, recueil contes, coédition Barzakh (Algérie)/ Actes Sud (France), recueil, 168 pages. 450 DA.