Que n'a-t-on pas dit sur lui ! Il fut le président le plus moqué de l'histoire de l'Algérie. On se gaussait de son accent, de ses discours, de sa prétendue inculture. Pour tout dire de sa bêtise que mille blagues déclinaient sur tous les tons. Comme ce n'était ni un rhéteur ni un tribun, mais un homme toujours mal à l'aise dans les discours, toujours empruntés, il accréditait facilement les bruits colportés sur lui. Certainement par ceux-là même qui lui ciraient les bottes quand ils sont en face de lui. Ils lui susurraient des "fakhamate erraïs" à dégouter un ultra monarchiste. Je n'ai jamais vraiment cru à cette caricature d'un président bête à manger du foin. Un homme qui s'est opposé, quand il était le patron de la deuxième région militaire, au tout-puissant Boumediene ne doit manquer ni de caractère ni de personnalité. Ni de courage, cela va de soi. Le seul aspect de sa personne qu'on ne pouvait pas toucher était son physique. Il était beau, il avait de l'allure, un vrai cowboy de Hollywood, plus vrai que Reegan lui-même : crinière blanche, teint halé par le soleil, démarche souple d'un militaire qui a connu les maquis. Ma prof de fac, une Française, était folle de lui. Elle n'arrêtait pas de minauder : “Vous avez un président qui a beaucoup d'allure…” C'est vrai, qu'en face, il y avait Giscard d'Estaing qui ressemblait à un échassier décharné. Allez, on va enfoncer le clou : sur ce plan-plan, il laisse loin derrière lui les autres présidents. Bouteflika aurait pu lui disputer cette place, le Bouteflika Talleyrand des affaires étrangères s'entend, celui qui avait les cheveux en bataille et les yeux d'un bleu révolutionnaire. Mais bon, comme la fonction présidentielle n'est pas un concours de beauté, on juge un président sur son bilan et non sur sa plastique. Ce qu'il a laissé ? D'abord la possibilité pour les Algériens de respirer mieux. Sous Boumediene on étouffait, étranglés par les pénuries et les répressions de toutes sortes, comme celle d'avoir une autorisation de sortie pour pouvoir quitter le territoire national. L'Algérie, vaste prison pour le peuple, eldorado pour la caste dirigeante, qui faisait son shopping les week-ends à Paris en buvant sec et en festoyant dans les boîtes du Ritz ou du Baron. Le peuple, lui, n'avait droit à rien. Vraiment droit à rien ? Si, il avait droit à un sentiment dont la classe dirigeante n'était pas avare : le mépris. Alors, tout bien pesé, entre Boumediene le doctrinaire qui nous a tout interdit et Chadli le militaire qui a desserré la cocotte minute dans laquelle on nous faisait cuire, le choix est fait. À vrai dire, j'avais, dès le départ, un préjugé favorable vis-à-vis de Chadli Bendjedid. Pour une raison très simple. Il était l'ami d'un Oriental de ma connaissance, diplomate à Alger, qui m'avait dit grand bien de lui dès son intronisation. Pour faire court, il m'avait confié que Chadli était un homme circonspect qui avait horreur de la démagogie et des théories fumistes. Je l'entends encore m'assurer que c'était un homme bon, plein d'humour, adorant la plongée sous-marine et les parties de cartes avec des amis. Ce portrait à grands traits, tout en humanisant Chadli, me changeait bigrement du surhomme qui l'avait précédé. Chadli avait un cœur quand Boumediene avait un cerveau qui n'admettait aucune autre politique pour le peuple que celle qu'il avait décidée à sa place. Peuple immature selon lui, tout juste bon à chanter sa gloire. Il chantait ce peuple, mais il chantait faux. Manière de lui renvoyer la balle idéologique. Mais, en octobre 88, ce peuple a commencé à chanter juste. Résultat : les portes de la démocratie se sont entrouvertes pour se refermer sur Chadli qui a été poussé à démissionner. Fin d'une époque, début du bain de sang. vingt ans plus tard, que nous reste-il de Chadli ? l'irruption des bananes dans le marché algérien. Des bananes trop vertes. Il nous reste encore un goût amer dans la bouche. Un goût d'octobre… H. G. [email protected] hakimus 11-10-2011 17:20 nostalgie 10-10-2011 16:30