Seize années se sont écoulées depuis l'apothéose du boycott scolaire initié dans trois wilayas du pays. Historique fut l'entrée de la langue amazighe dans le système scolaire algérien, et émouvante la première édition du Journal télévisé. L'appréciation du chemin parcouru se décline en deux volets : le symbolique et le stratégique. Sur le plan symbolique, nul ne peut nier que les sacrifices consentis par une génération d'élèves et de militants de la cause ont été ponctués d'acquis consistants. Le souvenir est encore vivace des obstacles rencontrés pendant le premier mandat du Haut Commissariat à l'amazighité (1995/98). À l'époque, on refusait ne serait-ce que l'ombre d'un strapontin scolaire à tamazight. Etaient évoquées de nombreuses raisons. Reconnaissons que certaines étaient objectives et d'autres beaucoup moins. LES ACQUIS Par la suite, des avancées furent enregistrées, timidement dans un premier temps et de façon plus soutenue depuis le lancement de la réforme (en 2002/03). Ainsi, de nos jours, tamazight connaît le même traitement technico-pédagogique que les autres disciplines scolaires. Elle a intégré la CNP (Commission nationale des programmes) avec son propre GSD (groupe spécialisé dans la discipline concernée) qui trace les programmes d'enseignement pour chaque niveau. À partir de ces programmes, le MEN élabore et imprime les manuels d'enseignement. Notre langue maternelle figure dans les emplois du temps des établissements scolaires, là où la demande sociale s'est exprimée. Les élèves bénéficient d'un encadrement recruté selon les normes en vigueur des titulaires de la licence universitaire en tamazight et des inspecteurs pédagogiques. Tamazight a été introduite de façon officielle dans l'évaluation du travail des élèves. Elle dispose de son coefficient, de son espace dans les bulletins scolaires et de ses épreuves trimestrielles (devoirs surveillés et composition). La revendication phare — tamazight au brevet et au baccalauréat — ne relève plus du rêve inaccessible : elle trône fièrement dans les salles et dans les centres de correction de ces examens nationaux. Toutefois, ce tableau optimiste connaît un paradoxe. Des seize wilayas pionnières (en 1995/98), il n'en reste, en 2011, que six où tamazight est enseignée, alors que par ailleurs les effectifs ont connu une nette augmentation. Pour la rentrée scolaire 1995/96, il y avait 37 690 élèves encadrés par 233 enseignants. En 2010/11, ils sont respectivement au nombre de 214 442 (élèves des trois paliers) et 1265 enseignants. À l'instar de leurs collègues des autres disciplines, ces derniers bénéficient de sessions de formation et des outils techniques nécessaires (mais non suffisants) à leur métier. Ils ne se sentent plus marginalisés comme par le passé. Ce recul de la demande sociale dans les autres wilayas peut s'expliquer par un déficit en sensibilisation. En effet, de 1995 à 1998, en pleine tourmente terroriste, les membres du HCA ne cessaient de sillonner les régions berbérophones pour argumenter et communiquer auprès des parents, des autorités et du mouvement associatif. D'où le nombre de seize wilayas à y adhérer. DES REGRETS Ce tableau réconfortant ne doit pas nous voiler la face. Sur le plan du fond de la problématique, beaucoup reste à faire. Et du retard a été accumulé. A-t-on seulement évalué à leur juste valeur les recommandations délivrées par d'éminents scientifiques lors des trois colloques nationaux organisés par le HCA en 1996 et 1997 ? Ils avaient pour thèmes : La réhabilitation de l'histoire amazighe ; la promotion de tamazight dans la communication et enfin l'introduction de tamazight dans le système scolaire. À titre de rappel, le décret portant création du HCA fixe à ce dernier un partenariat multisectoriel avec les départements de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, de la Culture, de la Communication et de la Formation professionnelle. Cette institution a-t-elle relayé les recommandations des scientifiques auprès des ministères concernés ? S'il doit y avoir un “audit'' — et l'idée est bonne — il ne peut se faire qu'à la lumière des missions statutaires. D'abord, un audit du HCA et, ensuite, l'évaluation exhaustive des initiatives intersectorielles, théoriquement lancées au début du premier mandat. Sur ce dernier point, il n'y a pas que “tamazight à l'école” qui nécessite un “audit''. La concrétisation des missions du HCA aurait fait de cette institution un laboratoire d'idées, un réceptacle/carrefour de toutes les bonnes volontés et des compétences nationales dans le domaine de tamazight. Avec la présidence de la République comme tutelle directe, le HCA pouvait (mais le peut-il maintenant ?) encourager la production littéraire, scientifique et pédagogique, de concert avec les autres ministères. Il existe au sein de cette institution une direction de l'enseignement animée par M. Laceb, docteur d'Etat en sciences du langage, spécialisé en tamazight. Cet universitaire a accouru de Paris en 1996 pour mettre ses compétences au service du pays. Qu'est-il advenu du colossal travail de recherche qu'il peaufine depuis plus de vingt-cinq ans, notamment le dictionnaire scolaire de tamazight ? Avant de parler de généralisation, il serait plus opportun de solliciter les sociologues, sociolinguistes, psycholinguistes et les didacticiens (du domaine) pour analyser les raisons profondes du recul de la demande sociale. Mieux encore, ils pourraient se pencher sur l'engouement observé en Kabylie – cette locomotive de l'enseignement de tamazight et non son “ghetto'' — pour dégager des solutions à adapter dans les autres wilayas. Leurs réponses serviraient à l'élaboration d'une stratégie à long terme qui viserait à une généralisation de l'enseignement de tamazight. Pour ne pas rééditer des erreurs de triste mémoire, cette généralisation sera progressive et scientifiquement menée. Et seuls les spécialistes du domaine amazigh — les universitaires en premier chef — peuvent impulser cette réflexion et fournir les outils scientifiques dont souffre actuellement l'enseignement scolaire de tamazight. Il est clair qu'un système scolaire n'a pas vocation de se substituer à l'institution détentrice de l'expertise académique : l'université. À l'école est enseignée la forme didactisée du savoir savant élaboré par les scientifiques. À l'instar de toutes les autres disciplines scolaires, la langue amazighe est éligible à cet incontournable traitement de transposition didactique (uniformisation de la graphie, lexiques spécialisés, grammaires pédagogiques par niveau, etc.). Cela demandera du temps, inévitablement. Un temps auquel il faudrait ajouter les années perdues depuis la vacance du HCA. À l'évidence, les réponses à ces questions ne peuvent émaner d'une institution qui fonctionne dans un vide juridique depuis la fin de mandat non renouvelé, en juin 1998, de ses trois organes constitutifs, à savoir le CPOS (orientation et suivi), le CPSC (comité scientifique et pédagogique) et le CIC (comité intersectoriel de coordination). Sans oublier celle du poste de Haut-Commissaire pour cause de décès de l'ancien titulaire en 2004. Quant à l'administration du HCA, le décret lui assigne le rôle de structure d'exécution des orientations et des décisions prises par (ces défunts) organes constitutifs. A. G. et A. T. (*) (Anciens membres du HCA) nasrou michel 21-10-2011 15:45 nostalgie 20-10-2011 16:13