Le leader d'Ennahda, Rached El-Ghannouchi, revient à Alger, par la grande porte, lui qui avait été prié, au début des années 1990, de trouver refuge ailleurs par les autorités algériennes, qui s'étaient attirées les foudres de Zine El-Abidine Ben Ali. Une belle revanche sur l'histoire ! Le chef de file des islamistes tunisiens, grand vainqueur des élections de l'Assemblée constituante, débarque à Alger où il est reçu comme un véritable chef d'Etat, alors qu'officiellement, il n'occupe aucun poste dans l'Exécutif tunisien. À sa descente d'avion, ce n'est pas moins que le numéro deux de l'Etat algérien, Abdelkader Bensalah, pour ne pas le nommer, qui le reçoit. La télévision étatique est là pour immortaliser le moment. Pour sa seconde journée, le programme du leader d'Ennahda est digne d'un chef d'Etat. Il rencontrera les présidents des deux Chambres du Parlement, ainsi que les leaders des deux principales formations de l'Alliance présidentielle : le MSP et le FLN. Seul le RND n'a pas été concerné par cette journée marathonienne d'audiences. Le MSP, c'est clair, reçoit “un membre de la grande famille des Frères musulmans”, quoique le rôle grandissant d'El-Ghannouchi ait grandement éclipsé celui du MSP dont Mahfoud Nahnah occupait le rôle de leader de la branche maghrébine. Pour sa première visite officielle, au lendemain de l'écrasante victoire de son mouvement, El-Ghannouchi devrait même avoir l'honneur d'être reçu par le président Bouteflika.En déroulant le tapis rouge pour le leader d'Ennahda, Alger semble avoir admis que le parti islamiste détient le pouvoir présentement en Tunisie, ou du moins, pèse lourdement dans les prises de décision. Alger aura, donc, préféré composer avec le nouveau pouvoir en Tunisie et lui réserver un traitement privilégié, histoire de ne pas commettre les mêmes hésitations qu'avec les Libyens. Mais ce calcul pourrait donner des ailes aux islamistes algériens. Déjà, le MSP salive et s'impatiente d'aller aux législatives, alors que le patron du FLN, connu pour ses penchants islamistes, lorgne déjà sur la succession de Bouteflika, et semble très enthousiasmé à l'idée de représenter la mouvance islamiste lors de la future présidentielle. Cela sans compter les autres courants islamistes, légaux, interdits ou en attente de légalisation, qui seraient encouragés par la montée en force des islamistes, pas seulement en Tunisie, mais aussi et surtout en Egypte, en Libye, en Syrie, au Yémen et peut-être au Maroc. Azzeddine Bensouiah