Après la victoire en Tunisie, les islamistes triomphent en Egypte. Au Maroc, ils ont pris la tête du gouvernement et en Libye, leur avenir semble assuré. Déjà les Tunisiens goûtent à l'intolérance violente et leurs islamistes n'attendent pas de disposer de tous les moyens institutionnels de leur tyrannie en projet. Comme pour rappeler ce qu'ils sont, ils commencent par des actes de persécution contre le savoir et l'esthétique, contre la liberté d'apprendre et de créer : les premières attaques visent le théâtre, la télévision, le cinéma. “Kabl 24 janvier, koulchi mamnou'a ; baad 23 octobre, koulchi haram ?” Avant le 24 janvier (début de la révolution), tout était interdit ; après le 23 octobre (élection de l'Assemblée constituante), tout sera péché ? Par cette formule gravée sur une banderole, les manifestants du 22 novembre à Tunis résumaient la tendance qui se dessine en Tunisie, mais aussi en Afrique du Nord, comme alternative aux dictatures déposées par les révoltes du Printemps arabe. L'un après l'autre, ces pays semblent tomber de Charybde en Scylla. Jusqu'ici des dictatures “nationalistes” se légitimant par des cocktails idéologiques composés du péril néocolonial, de la menace impérialiste, de l'arabisme, du développement, du socialisme, de la défense de la langue et de la religion ont tenu leurs peuples respectifs sous une chape de plomb. Tous les crimes politiques, tous les abus policiers, tous les dénis de liberté et toutes les fautes de gestion se justifiaient alternativement par la menace qui pèse sur la nation ou la oumma, ou par la primauté de l'intérêt général sur la liberté individuelle. Le nationalisme autoritaire a vécu et les peuples se révoltent pour imposer le droit de décider de leur avenir. Nul besoin de rappeler les conditions qui sont à l'origine de l'idéologie de rechange dominante. Il suffit d'observer que le droit acquis à choisir son modèle de société s'exprime majoritairement en faveur du choix théocratique. L'islamisme ayant réussi à se poser comme option possible dans un choix démocratique, la question ne fait plus débat : désormais, il faudra donc envisager la charia comme canevas d'organisation de nos sociétés de demain. Les islamistes eux-mêmes ne doutent pas du niveau de verrouillage de la vie publique et… privée qui attend nos peuples. Par un travail idéologique, les forces intégristes ont préparé, à des degrés divers, nos sociétés à se soumettre au diktat du pouvoir prêcheur. Les pouvoirs déchus ou à déchoir y ont largement contribué, par calcul tactique ou par conviction de dirigeants. L'avènement d'un ensemble de régimes fondamentalistes en Afrique du Nord ne fait plus de doute. Il ne reste plus, dans l'air, que la question des nouvelles contradictions qui en surgiraient. Et de ce que coûtera leur résolution. En un mot, la région devrait se préparer à faire l'expérience d'une nouvelle forme de totalitarisme. L'Algérie, qui, au moment critique, avait encore les moyens de faire la démonstration que la perspective démocratique pouvait se concevoir en terre d'islam, n'a pas été à la hauteur de cette mission historique. Tout en en payant le prix. Les appétits rentiers ont été plus forts que le devoir patriotique. Nous avons raté l'occasion d'être une nation phare pour le meilleur ; nous sommes une nation à la traîne, pour le pire. M. H. [email protected]