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Mikaïl TIAR, ancien Conseiller du Gouverneur de la Banque d'Algérie, à Liberté “L'instabilité du dinar résulte de l'absence de diversification de l'économie”
Mikaïl Tiar est un polytechnicien issu des premières promotions postindépendance. Praticien aguerri des questions économiques en occupant plusieurs postes de responsabilité, notamment en qualité d'administrateur de fonds de participation, de président du holding Holdman, d'ancien conseiller du gouverneur de la Banque centrale et expert de la zone Meda. Avec sa modestie habituelle, il a bien voulu nous accorder cet entretien. Liberté : La décision de la Banque d'Algérie, début janvier de l'année en cours, de déprécier le dinar a donné lieu à une polémique entre ceux qui estiment que c'est une dépréciation et ceux qui considèrent que c'est une dévaluation de fait qui ne dit pas son nom. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre ces deux termes ? Mikaïl Tiar : On parle de dépréciation lorsqu'elle est constatée par le marché, car c'est le marché qui permet la confrontation de l'offre et de la demande (de devises, en l'occurrence). Une dévaluation est le résultat d'une décision du pouvoir politique visant à (r)établir une compétitivité accrue des produits et services à l'international. Il ne s'agit pas, dans ce cas, d'une correction technique, mais bien d'un choix de politique économique. Dans notre pays, la convertibilité commerciale du dinar, instaurée et garantie depuis le milieu des années 1990, a permis une réelle libération de notre commerce extérieur. Cette liberté de commercer avec le reste du monde devait être accompagnée d'une amélioration des performances de notre appareil productif, sous peine de voir se détériorer les termes de l'échange. En d'autres termes, le rétablissement des équilibres macroéconomiques et extérieurs devait être relayé par une relance du développement microéconomique intérieur (relance des entreprises). S'il y avait eu sur le marché des changes d'autres sources, significatives, d'offre de devises que celle assurée par la Banque d'Algérie en représentation des exportations d'hydrocarbures, une relative stabilité du dinar algérien en aurait résulté. Les banques commerciales, alimentées par leur clientèle d'exportateurs, interviendraient alors sur ce marché tant en offre qu'en demande. Cela ne s'est manifestement pas produit. La seule croissance des exportations observée a été celle des hydrocarbures depuis la fin de la période dite “d'ajustement structurel” (1998). Par contre, la croissance continue des importations, pour répondre à une demande intérieure non satisfaite par la production nationale, ne pouvait conduire qu'à une dépréciation de notre monnaie sur le marché des changes pour rétablir une vérité des termes de l'échange. Quelles sont les conséquences directes sur l'économie nationale d'une telle mesure ? Une inflation des prix des produits importés, résultat mécanique de la dépréciation de notre monnaie nationale sur le marché des changes, est d'ores et déjà enregistrée. C'est une conséquence que l'on peut juger utile pour ce qui est des produits finis de consommation, mais qui devra nécessairement faire l'objet de correctifs, par des mesures d'ordre budgétaire, pour en minimiser l'impact sur les matières premières et demi-produits d'importation nécessaires à notre appareil de production (allégement des droits de douane et des taxes). L'inflation importée peut donc être très utile si elle est accompagnée d'une politique de discipline budgétaire mieux ciblée. Le patronat est monté au créneau en estimant que l'entreprise de production sera impactée par les coûts des intrants, ce qui fragiliserait sa compétitivité à l'externe. Sachant la valeur presque insignifiante de nos exportations hors hydrocarbures, est-ce vraiment un problème ? Oui, pour certaines branches d'activité, mais non pour les productions dont l'essentiel de la valeur ajoutée est nationale. La réaction du patronat n'est ni mesurée ni responsable. Chaque filière ou branche d'activité devrait en estimer l'impact. Consécutivement, des mesures douanières et fiscales pourraient être assez vite envisagées. Je pense que cela pourrait figurer dans la loi de finances complémentaire pour 2012. Le pouvoir d'achat des ménages sera-t-il impacté par cette mesure ? Oui, pour les produits de consommation et produits de luxe importés, très certainement. Les tenants de l'orthodoxie financière pensent que l'abrogation, de fait, de la loi sur la monnaie et le crédit a permis au pouvoir politique de contrôler cette institution qui perd son indépendance, d'où les dérives monétaires actuelles. Quels sont vos commentaires ? Votre question est trop caricaturale et même trop excessive. Certaines modifications introduites dans la loi bancaire peuvent être discutables, mais l'autonomie de la Banque d'Algérie a été préservée. Je n'ai pas ressenti les dérives monétaires dont vous faites état. Certes, certains règlements du Conseil de la monnaie et du crédit (CMC) et instructions de la Banque d'Algérie prises pour leur application devraient peut-être faire l'objet d'évaluation. Le gouverneur de la Banque d'Algérie fait d'ailleurs une communication annuelle au législateur (parlement) et présente un rapport en ce sens au président de la République. Face à la crise de la dette souveraine et à l'enlisement de la zone euro, les Etats occidentaux interviennent de plus en plus dans la régulation de la sphère économique et financière. Pourquoi pas l'Etat algérien ? Cela se fait, me semble-t-il, aujourd'hui, à l'initiative de l'exécutif gouvernemental. Mais vous avez raison, l'exercice de révision périodique devrait être précédé d'une évaluation, avec débats éventuellement contradictoires et d'une plus grande implication du législateur. A. H.