Avant même l'annonce des résultats officiels, le président sortant Abdoulaye Wade, au pouvoir depuis 2000, a reconnu dimanche soir sa défaite et félicité son rival. Une première dans le continent où les présidents ne quittent le fauteuil que contraints. Le président sortant a félicité son vainqueur, après être resté douze ans au pouvoir. Wade, qui, durant sa campagne électorale, avait surnommé son challenger “mon apprenti”, a félicité Macky Sall de sa victoire, soucieux certainement de ne pas écorner la vitalité démocratique de son pays, à l'heure où le voisin malien est plus en mal de l'incarner. Le pays des Wolofs assène ainsi deux leçons aux peuples et régimes africains : l'alternance au pouvoir est non seulement possible mais elle peut se faire selon les règles élémentaires de la démocratie. Les premiers résultats officiels n‘étaient pas encore confirmés que des milliers de Sénégalais clamaient déjà dimanche soir la victoire de Macky Sall, leur nouveau président. Effusions de joie dans plusieurs quartiers de la capitale, y compris place de l'Indépendance, près du palais présidentiel. Des milliers de citoyens s'étaient rassemblés avant même l'annonce de la victoire, en dansant et aux cris de “cette fois ça y est !” ou “On a gagné”. Des scènes de liesse similaires ont eu lieu également dans d'autres villes du pays. Macky Sall, même s'il a fait ses armes dans le giron d'Abdoulaye Wade, représente pour la majorité des Sénégalais le renouveau. Le changement. La nouvelle candidature du président Wade, 85 ans, après deux mandats et une modification de la Constitution, avait suscité des craintes quant à la vitalité démocratique du Sénégal. Avant le premier tour, des manifestations et des violences avaient fait plusieurs morts et au moins 150 blessés, mais le scrutin se déroula sans incidents et, pour départager les outsiders, il aura fallu le second tour de dimanche qui a vu une mobilisation plus accrue des électeurs convaincus que le changement par les urnes était à portée de main. Les Sénégalais, comme les ont félicité le sortant et le gagnant, se sont rendus aux urnes dans le calme et la sérénité. “Le grand vainqueur reste le peuple sénégalais”, a lancé Macky Sall, dans son premier discours après la victoire. Remerciant le président Wade pour son appel téléphonique, il a promis d'être le président de tous les Sénégalais. Se félicitant de l'ampleur de sa victoire, aux allures de plébiscite, selon la presse dakaroise de lundi matin, le nouveau président a dit prendre la mesure de “l'immensité des attentes de la population”, promettant une ère nouvelle pour le Sénégal. Et ce ne sont pas les atouts qui lui feront défaut. Cinquantenaire, Macky Sall aligne une assez longue expérience de gestion des affaires du Sénégal. C'est, d'ailleurs, Wade qui l'a propulsé sur la scène politique, il y a onze ans. En mai 2001, l'ingénieur-géologue de formation est appelé au gouvernement comme ministre des Mines, de l'énergie et de l'Hydraulique. Trois ans plus tard, il deviendra premier ministre avant d'accéder à la présidence de l'Assemblée nationale en 2007. Cette année-là, il est le directeur de campagne du président Wade pour son second mandat. Mais, l'année suivante, Macky Sall entre en conflit avec son mentor qui n'apprécie pas que les députés aient convoqué son fils Karim, pour lui demander des explications sur son action au service de l'état. Le président de l'Assemblé nationale entre, selon ses propres termes, en “résistance républicaine”. Il crée son parti et parcourt le pays pour faire savoir qu'il volait de ses ailes, luttant contre le troisième mandat que s'offrait Wade en tripatouillant la Constitution. C'est ce mandat de trop que lui a justement reproché l'électorat qui s'est mobilisé pour tourner la page Wade. Que fera Macky Sall ? D'abord, il promet qu'il n'y aura pas de revanche dans sa démarche, sinon la conviction qu'il va booster cette alternance démocratique et générationnelle demandée la majorité des Sénégalais. Ensuite, il ne le cache pas, c'est un partisan du libéralisme, comme son prédécesseur. Sauf que lui prône un libéralisme social, promettant “de faire la différence en montrant que le libéralisme n'est pas antinomique de l'action sociale et de la solidarité, une combinaison dont le Sénégal a besoin”. En un mot, renforcer la création de richesses avec la priorité pour l'état de gommer les inégalités majeures dans un Sénégal où la majorité de la population est sans travail et sans couverture médicale. Programme ambitieux pour un président qui n'aura pas les mains libres : Macky Sall doit sa victoire à son parti mais surtout au bloc alternatif qui regroupe toute l'opposition, celle partisane traditionnelle et les nouveaux venus plus nombreux car animés par la jeunesse comme le M23 et Y'en a marre. Le nouveau président a par ailleurs une feuille de route, les conclusions des Assises nationales. Pendant plus d'un an, des représentants de partis politiques et de la société civile ont fait un état des lieux des problèmes du Sénégal qui a débouché sur un vrai projet de société avec la refondation de la République à partir des principes de séparation des pouvoirs, de justice sociale, d'une gouvernance sobre, efficace et vertueuse et de l'état de droit, tout l'inverse de ce qui s'est passé sous Wade. Macky Sall a annoncé l'établissement d'un état des lieux de la manière dont le pays a été dirigé, des audits pour que la lumière soit faite sur l'état réel de l'économie et “s'il y a eu des malversations, la justice se saisira des dossiers”. Mais, pour rassurer, il a ajouté qu'il n'y aura pas de chasse aux sorcières. D. B