Dans cet entretien, l'ancien argentier du pays aborde les principaux axes économiques du programme du RND. Liberté : La question des voies et moyens de lutte contre le secteur informel se pose avec acuité. Comment cette question est-elle appréhendée par le RND ? Abdelkrim Harchaoui : Une analyse sérieuse du secteur informel dans toutes ses dimensions, qu'il s'agisse de ses causes, de son ampleur ou de ses effets nécessitera certainement plusieurs thèses. Mais d'une façon générale, son existence et son extension sont le reflet des dérèglements et de l'instabilité du marché, dont le fonctionnement est influencé principalement par l'offre et la demande, mais aussi par des comportements et des pratiques qui évoluent en fonction de l'efficacité des moyens et des mécanismes de régulation économique en place. Il est vrai que notre économie réelle souffre énormément des effets des activités “souterraines”, de la spéculation, de la fraude et de diverses pratiques illicites, et il est aussi vrai que ceux qui en paient le prix dans l'immédiat sont les consommateurs et le Trésor public. Mais la persistance de ce genre de dérèglement peut compromettre l'investissement productif et la croissance économique et remettre en cause, à tout moment, la stabilité économique et sociale du pays. C'est pourquoi le RND s'est toujours engagé dans ses programmes à lutter contre le secteur informel et la fraude sous toutes ses formes, tout en accordant une attention encore plus grande aux investissements productifs, à la promotion et à la protection de la concurrence et à la modernisation des différents services de l'administration chargés de la régulation économique et du contrôle du marché. Mais rappelez-vous de la remarque du secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, lors de sa récente rencontre avec les chefs d'entreprise, membres et invités du FCE, à l'hôtel El-Aurassi, et consacrée à la présentation du programme économique que notre parti propose à la nation pour les élections du 10 mai 2012. Il avait saisi cette occasion pour rappeler nos engagements pour lutter contre l'économie informelle et toute pratique illicite, mais a insisté sur la nécessaire contribution de tous, particulièrement les associations patronales et les chefs d'entreprise, pour agir contre ce fléau qui pénalise les entreprises productives nationales publiques et privées et cause un sérieux préjudice à toute la collectivité nationale. Vous noterez d'ailleurs que dans le programme électoral du RND, dans son volet économique, le chapitre intitulé “Gagner la bataille contre la fraude, l'informel et le crime économique” relate de la façon la plus explicite et la plus précise notre perception de ce genre de question, les risques qu'elle comporte pour l'avenir de notre économie, de nos entreprises et de leur compétitivité et aussi pour de la nécessité d'agir tous ensemble aux côtés des structures de l'état. Mais la fraude fiscale génère des revenus tellement importants que c'est devenu un facteur d'incitation des réseaux commerciaux et monétaires parallèles ! Effectivement. La fraude fiscale est la pire des fraudes et est qualifiée dans la plupart des pays comme un crime économique. C'est une pratique immorale qui prive la nation du droit de recouvrer les ressources destinées au financement du développement du pays et des politiques publiques à la charge de l'état et dont profite toute la société. Faut-il rappeler que la réforme fiscale réalisée par notre pays a donné lieu à une importante réduction de la pression fiscale, à commencer par la série des exonérations d'impôts sur les investissements et l'exploitation des entreprises pendant les premières années de leur activité, les réductions des taux d'imposition pour tout le reste de l'économie nationale et sur les revenus des entreprises et des personnes, ainsi que toutes les facilités accordées aux contribuables. Elle constitue un détournement de ressources dues au budget de l'état. En fait, la fraude fiscale est une question d'ordre moral et de respect des obligations légales. Par conséquent, la combattre c'est l'affaire de tous. Comme on le sait, notre économie en général et le budget de l'état en particulier dépendent fortement des revenus du secteur des hydrocarbures. Peut-on définir les conditions d'une rupture avec l'économie rentière ? Tous les gouvernements algériens qui se sont succédé depuis les années soixante se sont engagés à valoriser toutes les ressources nationales et à créer les conditions pour le développement des activités productives pour réduire et, même, mettre un terme à la dépendance de notre économie aussi bien des exportations des hydrocarbures que des marchés extérieurs pour l'approvisionnement du pays. Or, à ce jour, c'est malheureusement toujours un vœu pieux. Faut-il attendre qu'il n'y ait plus un seul baril de pétrole à exporter ou bien un effondrement durable des prix sur les marché internationaux, ce qui est plus probable, pour réagir de façon sérieuse ? Si cette dépendance persiste, et, comme l'a précisé le secrétaire général du RND devant le Forum des chefs d'entreprises, s'il n'y a pas de découverte de nouveaux gisements importants chez nous dans les prochaines années, la situation sera vraiment compliquée. Faut-il se permettre le luxe de compter encore sur la rente pétrolière et une politique de la mamelle bien généreuse pour tous ? Ce sera, et j'espère me tromper, une démarche suicidaire. Lorsqu'on gouverne un pays, on contribue à façonner le destin d'une nation ; et nul n'a le droit de gérer l'instant ou même d'influencer les politiques publiques et les choix nationaux, en occultant l'avenir des autres générations. Mais le privé national, les organisations patronales ainsi que les élites nationales ne cessent de solliciter les pouvoirs publics pour réaliser des réformes et créer les conditions pour dynamiser l'investissement privé national et l'associer pleinement aux efforts de relance économique et de soutien d'une forte croissance hors hydrocarbures. Quel intérêt accordez-vous à cette revendication ? Je préfère considérer cela, non pas comme une revendication, mais plutôt comme une règle économique et financière universelle. Il faut bien reconnaître que le secteur privé national a participé de façon importante, durant ces dernières années, à l'effort d'investissement et à l'accroissement du produit intérieur brut dans tous les secteurs hors hydrocarbures. D'ailleurs, les statistiques relatives à la croissance du PIB sont significatives, soit 9,3% en 2009 et de plus de 6% durant les années suivantes. L'Algérie dispose d'un grand potentiel de croissance qu'il convient de valoriser, aussi bien par l'investissement que par l'exploitation optimale des diverses ressources naturelles, de la base industrielle publique et privée existante, de l'agriculture, du tourisme et de beaucoup d'autres secteurs. J'ai eu l'occasion d'affirmer, à l'occasion d'une conférence en 2002, que notre économie pouvait faire des taux de croissance de plus de 8%. Ceci a été également souligné par des économistes universitaires et consultants lors du dernier symposium du FCE, puisqu'ils ont affirmé que des taux de croissance de l'économie algérienne de 8% à 10% sont tout à fait possibles. Cet aspect est extrêmement important pour notre pays. La croissance est à la base du développement économique et du progrès social. C'est un facteur de création d'emplois, d'amélioration des revenus et d'efficacité des entreprises et des activités productives.Le capital privé algérien souffre certainement de la bureaucratie, des contraintes de financement, de problèmes de modernisation de l'outil de production. Mais je pense que l'éventail des mesures et des facilitations décidées au cours des dernières rencontres tripartites sont de nature à impliquer davantage et avec plus de valeur ajoutée et de résultats les entreprises privées. à charge pour elles de relever les défis de la compétitivité et d'une plus grande contribution au revenu national et à l'épargne intérieure. M. Ouyahia a bien précisé lors de la rencontre avec le FCE que nous ne faisons aucune différence entre l'entreprise publique et l'entreprise privée. En fait, la différence apparaîtra plutôt à travers leurs performances économiques et financières et leurs capacités à créer une richesse et à renforcer l'efficacité globale de l'économie algérienne. Enfin, il faut que chacun garde à l'esprit, comme l'a souligné M. Ouyahia, que la contribution du budget de l'état à la croissance ne pourra pas être assurée à l'avenir, dans des proportions aussi importantes que celles de ces dernières années ; les ressources sont très volatiles et les dépenses de fonctionnement ont atteint des niveaux excessifs. Il est temps de financer autrement la croissance économique. A. H.