Le poids de l'informel, l'ampleur de la contrefaçon, l'évasion fiscale, les dysfonctionnements du marché intérieur sont autant de facteurs qui bloquent l'expansion des entreprises de production. Le président du Forum des chefs d'entreprise a plaidé, hier, à l'occasion d'une présentation de trois études sur l'ouverture du marché, l'expansion de l'informel et les dysfonctionnements du secteur de la distribution, organisée à l'hôtel Hilton d'Alger, sur l'urgence pour l'Algérie “de s'atteler à perfectionner ses instruments juridiques et institutionnels ainsi que les mécanismes de régulation et de contrôle qui permettraient de remettre de l'ordre dans le marché”. M. Hamiani souligne que “l'entrepreneuriat et le développement de l'entreprise restent encore trop sévèrement contraints par de nombreuses difficultés qui se situent dans l'environnement”. Les dysfonctionnements liés à l'ouverture, dans un contexte de marché submergé par l'informel et où le système de distribution connaît des insuffisances lourdes et des dérèglements, font partie de ces difficultés. Le président du FCE a fait un constat sévère des réformes entreprises jusque-là. “Toutes les réformes et tous les efforts d'organisation entrepris depuis les quinze dernières années n'ont pas été suffisants pour nous permettre d'édifier un appareil de production apte à s'insérer de façon réussie dans l'économie mondiale”, a noté M. Hamiani. Cela n'a pas été suffisant pour empêcher l'afflux considérable de produits, souvent de contrefaçon, en provenance des marchés extérieurs, ni pour empêcher la fraude et les pratiques déloyales ; cela n'a pas arrêté l'érosion du tissu industriel et cela n'a pas permis à notre pays d'exporter autre chose que du pétrole et du gaz. Le président du FCE indique que l'ouverture extérieure est conduite sans préparation, sans précautions, sans garde-fous. Les études présentées par M. Ighil Ahriz, directeur du bureau Ecotechnics qui a accompagné le forum donne matière à inquiétude. Le constat est alarmant. Très fortes pertes de parts de marché de l'industrie locale “Si la croissance agricole (6,2%/an) arrive dans l'ensemble à évoluer au même rythme, sinon plus, que les importations de produits alimentaires, ceci est loin d'être le cas pour l'industrie (2,2%/an)”, relève le forum, soulignant l'accentuation du déclin de la production du secteur public industriel. “Celle du secteur privé suit la même évolution, après quelques années où on avait cru qu'elle allait pouvoir décoller”, ajoute le FCE. Pour l'organisation que préside M. Réda Hamiani, ce déclin est dû en très grande partie à la concurrence déloyale. “Cette évolution n'est pas imputable à la raison évoquée habituellement, à savoir le manque de compétitivité de nos entreprises et de nos produits. Dans la réalité, elle ne fait que refléter la part prise par le marché informel dans la satisfaction de la demande et celle accaparée par les importations dans l'offre sur ce marché”, estime le forum. Les importations en provenance de certains pays émergents augmentent considérablement, et ce, malgré le démantèlement tarifaire vis-à-vis de l'Union européenne. C'est notamment le cas de la Chine, de l'Inde, du Brésil, de l'Egypte, de la Turquie, de la Malaisie et de l'Indonésie. Le phénomène de la sous-facturation évolue parallèlement à celui de l'importation de produits de contrefaçon. Pratiquement l'ensemble des produits sont touchés : textiles et cuirs, pièces détachées, produits électroniques et de l'électroménager, petit outillage, parfums, cosmétiques, agroalimentaire, médicaments, cigarettes... Le forum note que les importations de marchandises connaissent une croissance considérable sur la période 2000-2007 (en volume, le taux moyen annuel de croissance des importations de marchandises est de 7,6% ; il est de l'ordre de 15% si l'on tient compte de l'effet prix). Cette croissance est supérieure à celle du PIB hors hydrocarbures, qui est de 5,4%/an sur la période. La croissance des importations de services a été encore plus importante que celle des importations de marchandises. “Il est indispensable que soient prises les mesures, urgentes, de nature à réaliser l'assainissement de notre économie de l'ensemble des pratiques frauduleuses liées à l'entrée des marchandises sur le territoire national, et l'élimination du secteur informel du commerce de gros ainsi que des pratiques informelles observées dans le secteur formel du commerce de gros”, recommande le FCE. Sur plus de vingt professions totalisant près de trois millions d'occupés, le taux d'informalisation est supérieur à 40% Les études du FCE relèvent par ailleurs le développement de plus en plus important du secteur et de l'emploi informels dans l'économie nationale. Sur plus de vingt professions totalisant près de trois millions d'occupés, le taux d'informalisation est supérieur à 40%. C'est particulièrement le cas des commerçants (66%), des manœuvres (87%), des maçons (77%), des couturiers (96%), des taxis (51%)... “De tels taux font peser des risques sur les professions concernées et les professionnels réguliers qui peuvent difficilement supporter la concurrence, encore moins investir et se moderniser. Dans la mesure où ces professions regroupent une partie non négligeable de l'emploi total (plus du tiers), il est clair aussi qu'il y a un risque de déstructuration de l'ensemble de l'économie”, souligne le forum. Ceci, d'autant plus que de plus en plus de professions supposées, a priori, loin de l'informalité, commencent à avoir une composante informelle importante : dentistes (18%), architectes (16%), informaticiens (15%), avocats (14%), comptables (9%), enseignants (5%), techniciens de la santé (4%)… Le forum, chiffres à l'appui, relève d'importantes pertes pour le Trésor et les organismes de Sécurité sociale. Et les estimations ne tiennent pas compte des pertes fiscales liées à la fraude sur les importations, ces dernières étant censées être réalisées par le secteur formel. Mais elles pourraient atteindre des montants considérables en droits de douane, TVA et IRG ou IBS sur les revenus des entreprises d'importation. Elles ne tiennent pas compte non plus de l'évasion fiscale imputable aux entreprises formelles autres que les importateurs. Défiance croissante vis-à-vis de la fiscalité Le Forum des chefs d'entreprise a en outre relevé les dysfonctionnements dans le secteur commercial, “un secteur, peu modernisé, qui connaît une informalisation croissante”. Le nombre d'entreprises commerciales est de 330 000 environ, se composant de 280 000 détaillants, 30 000 grossistes et 20 000 importateurs. Les commerces de détail sont dans leur quasi-totalité de petites surfaces. Les expériences de supermarchés ou d'hypermarchés organisés ou non sous forme de chaînes demeurent limitées mais existent ; ces structures n'ont pas acquis la masse critique nécessaire pour avoir des effets sur l'ensemble du commerce de détail ou sur les entreprises de production. Le FCE évoque une atomisation du commerce et un déséquilibre dans la répartition spatiale. L'organisation patronale souligne que “le problème principal dans ce domaine est l'absence d'application des lois et règlements existants, ce qui encourage fortement la généralisation des pratiques informelles”. Le FCE observe aussi une défiance croissante vis-à-vis de la fiscalité et une prolifération de la corruption. “Plus grave encore, cette informalisation génère des masses de capitaux insoupçonnées qui risquent de s'ériger en obstacle sérieux à toute réforme du secteur”, avertit le FCE, soulignant “l'inefficacité du contrôle, conséquence de l'insuffisance des moyens qui lui sont dévolus”. Meziane Rabhi