IIs sont jeunes, très jeunes même, mais ils n'ignorent rien des sacrifices consentis par les artisans du 20 Avril 80 pour arracher le droit de vivre librement dans leur pays. Ils n'étaient même pas nés en 1980 mais ils considèrent que le combat pour l'amazighité initié par l'ancienne génération est aussi le leur. Ils sont étudiants et lycéens et tiennent à célébrer, eux aussi, cette belle épopée du Printemps amazigh dont les acteurs étaient, à cette époque, comme eux-mêmes aujourd'hui, des jeunes et des étudiants. Altiers et sans complexe, ces bourgeons d'Avril sont déjà habités par un beau rêve : réaliser l'aspiration de toute une région, la Kabylie, ce haut lieu de la résistance patriotique et des luttes démocratiques, qui, depuis 32 ans, se fait le devoir de célébrer son printemps. C'est-à-dire arracher le statut de langue officielle à leur langue maternelle. En tout cas, Achour, Allaoua, Fatima, Laâziz, Madjid, Sami, Samira… ces étudiants et les lycéens rencontrés à Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou, en ont fait le serment. Ils savent que la tâche ne sera pas de tout repos mais, dignes héritiers de “la génération de 80”, ils sont prêts à prendre des risques, à assumer leur part de sacrifices. Les jeunes et la symbolique du 20 avril Pour nombre de ces jeunes, le 20 Avril est porteur d'un idéal de liberté, de démocratie et de justice. “Le 20 Avril est le symbole du combat pour l'identité amazighe et la liberté”, assure Fatima, étudiante en tamazight à l'université Colonel Mohand-Oulhadj de Bouira. “Le 20 Avril représente pour moi les sacrifices des anciens pour les libertés et le changement démocratique en Algérie”, précise Achour, étudiant en génie électrique à l'université Abderrahmane-Mira de Béjaïa. Madjid, étudiant en génie mécanique à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, estime, lui, que le 20 Avril, repère et symbole des luttes démocratiques et identitaires, “a posé les jalons de la démocratie”. “C'est grâce aux sacrifices des artisans du 20 Avril qu'on parle aujourd'hui librement”, reconnaît-il. Pour ce jeune étudiant, les dirigeants algériens “ont confisqué l'indépendance du pays” en imposant au peuple “une matrice identitaire imaginaire”. C'est quoi l'identité algérienne ? “Elle est composée de plusieurs référents : l'amazighité, l'islamité, l'arabité et même la francophonie qui est pour nous un butin de guerre comme l'avait si bien dit Kateb Yacine”, explique Madjid non sans ajouter : “Le 20 Avril est un combat unificateur. Son message est : ensemble on peut construire dans la diversité. C'est un mouvement pragmatique porteur d'idées de modernité”. Jeune étudiant de tamazight à l'université de Bouira, Allaoua partage presque le même point de vue. “Le 20 Avril est un acte de naissance des luttes pacifiques pour une Algérie plurielle. Il symbolise la liberté, la démocratie et l'identité”, affirme-t-il. Sami, 5e année en génie mécanique à l'université de Tizi Ouzou, va plus loin : pour lui le Printemps amazigh pose la problématique du projet de société. “C'est le 1er mouvement initié par une élite porteuse d'un projet de société moderniste. C'est une alternative qui répond aux aspirations des Algériens”, explique-t-il. Fait remarquable, ces jeunes n'hésitent pas à faire un lien entre le Printemps amazigh d'Avril 80 et la Révolution algérienne. À la suite de Madjid pour qui cette date résonne comme “un écho au Congrès de la Soummam” et “une suite de la Révolution algérienne confisquée”, Halim, étudiant à l'université de Béjaïa, voit carrément dans le 20 Avril un “équivalent du 1er Novembre”. “Pendant la Révolution, les Algériens se sont battus pour l'indépendance et la liberté. Ils ont eu l'Indépendance mais, malheureusement, pas la liberté. Pour moi, le 20 Avril est, en quelque sorte, la reprise du combat libérateur, la continuité du 1er Novembre”, explicite son ami Achour. Ce n'est pas à travers les livres que les jeunes étudiants se sont appropriés ce moment historique. Comme ouvrages dédiés à la cause amazighe, ils n'ont cité que trois : Askuti de Saïd Sadi, La question kabyle de Ferhat Mehenni et Les insurgés officiels de Arezki Aït Larbi. Il est vrai qu'il est arrivé à certains d'entre eux d'assister à des conférences animées par les acteurs du combat amazigh mais c'est, en grande partie, grâce à l'oralité, qui a sauvé la culture amazighe d'une disparition certaine, que tout ce qui a trait au 20 Avril est transmis à la nouvelle génération N'empêche, les jeunes ont remarquablement assimilé le message et la philosophie du 20 Avril. “Les valeurs portées par le mouvement culturel sont la démocratie, les libertés et la reconnaissance de l'identité”, énumère Sami. “Il représente pour moi l'identité, la démocratie, la justice sociale et le développement”, souligne Youcef. Arracher l'officialisation de tamazight Pour ces jeunes étudiants, les acquis du 20 Avril doivent être préservés à tout prix. Ils estiment que leur mission est de parachever le combat initié par leurs aînés. “Notre mission est de continuer le combat initié par les animateurs de 80. Ils ont frayé le chemin et nous, nous avons la responsabilité d'arracher un statut officiel pour notre langue”, assure Massissilia, étudiante de Bouira. “Les artisans d'Avril 80 ont été les précurseurs. Ils ont cassé le mur de la peur et du silence. La génération 90 a arraché le HCA et deux instituts de tamazight à Béjaïa et à Tizi Ouzou, celle de 2001 l'introduction de tamazight dans l'enseignement. C'est à notre génération d'arracher le statut de langue officielle pour tamazight”, appuie Madjid. S'il fait sien cet objectif d'officialisation de tamazight, Allaoua n'insiste pas moins sur la nécessité de “mettre fin à la folklorisation de ce repère de l'histoire”. Comment ? “En plus de la revendication, nous devons aussi produire”, explique-t-il. Achour de l'université de Béjaïa, lui, voit dans la création de la coordination des étudiants amazighs “une sorte de reprise des luttes pour la démocratie et l'identité lancées par les anciens”. Pour lui, le défi qui se pose à la nouvelle génération est “d'unifier toutes les forces modernistes à travers tout le pays pour ne pas tomber dans le piège de la division et du régionalisme dont s'est servi ce régime pour régner”. Il y a quelques semaines, des étudiants de plusieurs universités du pays ont créé la Coordination nationale des étudiants amazighs. Cette structure a lancé un appel aux étudiants pour rejoindre les marches qu'elle compte organiser dans plusieurs villes du centre du pays (Alger, Béjaïa, Bouira, Boumerdès et Tizi Ouzou) pour célébrer le 20 Avril. Les lycéens en ordre de marche Les lycéens ne sont pas en reste : à Béjaïa, à Bouira et à Tizi Ouzou, les coordinations de lycéens ont été relancées. Des activités seront organisées dans plusieurs lycées et des marches seront tenues un peu partout dans les localités de ces trois villes de Kabylie. Le 17 avril, plus de 1 000 lycéens ont battu le pavé à Bouira pour exiger un statut de langue officielle pour tamazight et appeler au boycott des législatives du 10 mai. Un enseignant de mathématiques du lycée d'El-Kseur ne cache pas son admiration face à l'engagement de ces jeunes. “Ce sont les dignes héritiers des pionniers de la cause amazighe”, se réjouit-il. Et de raconter : “Lors d'un rassemblement organisé cette année à Béjaïa par des enseignants, un professeur a été arrêté par la police. Mise au parfum de cette arrestation, une lycéenne a réagi très vite en balançant la nouvelle sur facebook en exigeant sa libération. En peu de temps, l'information a fait le tour de la Toile”. “J'ai été agréablement surpris par la maturité des lycéens. Ils se sont réunis partout et ont décidé d'organiser des marches dans plusieurs chefs-lieux communaux (Iferhounène, Azazga, Tigzirt, Azeffoun, Timizart…). Ils ont même ouvert un compte facebook pour médiatiser leurs actions. Incontestablement, il y a une prise de conscience”, se félicite un ex-étudiant de Tizi Ouzou. Les artisans du 20 Avril peuvent se trémousser d'aise, la relève est bel et bien assurée. A. C.