Résumé : Louisa s'endort les larmes aux yeux et le cœur gros. Elle repense à ses parents et au bled. La fatigue aura raison d'elle. Elle se réveille sur un temps pluvieux… Les murs lézardés de sa chambre laissaient suinter de l'eau, et sa belle-mère vint la réveiller. Elle était furieuse de la savoir encore au lit. Ma belle-mère prend un air qui en disait long sur ses pensées. -Je ne vais pas trop m'attarder là-dessus… Réchauffe du café pour ton mari… Et puis occupe-toi du déjeuner. Je t'ai laissé une ration de patates sur le potager… Tu trouveras de la semoule dans le placard de la cuisine… Prépare une galette… Moi je descends faire des courses... Je risque de tarder… Mais tu es là… N'oublie pas que tu es désormais chez-toi et que tu dois t'occuper de la maison… Elle met un foulard sur sa tête, enfile un pardessus et se saisit d'un grand panier et d'un porte-monnaie : -Je t'expliquerai plus tard comment faire les courses, où acheter le pain et le lait, où chercher du bois pour le poêle… Moi je commence à me fatiguer, il est grand temps que quelqu'un prenne la relève. Elle se retourne vers son mari qui somnolait sur son canapé et, comme il ne disait rien, elle sortit sans tarder. Je retourne dans ma chambre pour remettre mon gros pull en laine… J'étais frigorifiée… Kamel s'étire et ouvre enfin les yeux : - Tu es levée… ? - Avec toute cette eau qui coule du plafond et ce froid, je ne vois vraiment pas comment tu peux dormir… Ta mère est venue me réveiller… Je pensais que le jour n'était pas encore levé… Il m'interrompt d'un geste avant de sourire : - La grisaille de Paris… - Il n'y a pas que la grisaille… Vous habitez dans cet appartement délabré et exposé aux intempéries. - C'est le cas de tous les émigrés. - Pourquoi… ? Au bled vous donnez tous l'air de bien vivre. - Oui au bled… Nous essayons de sauver les apparences… Pour cela nous économisons sou après sou pour pouvoir rentrer avec des valises pleines et en mettre plein la vue aux villageois. Mais en réalité, nous ne sommes que de pauvres gens… Des émigrés soumis à un rythme de travail quotidien infernal. - Ta mère disait pourtant que tu gagnais bien ta vie... - Certes. Je ne me plains pas trop… Mais tout comme mon père, je ne suis pas libre de dépenser mon salaire à ma guise. Je demeurais perplexe devant toutes ces révélations. Kamel s'étire et poursuit : -Au village on prend exemple sur mon père qui était parti sans le sou et qui a réussi à remonter la pente et à devenir riche. Ah ! Si les gens voyaient comment on est arrivé à leur donner cette impression ! -Au village vous arrivez à chaque fois comme des pachas… Tes parents s'habillent bien… Arrivent avec beaucoup de bagages… Offrent des cadeaux à tout le monde… Et se permettent avant de repartir d'utiliser les billets qui restaient pour grignoter sur d'autres terrains… Je veux dire qu'ils achetaient à chaque fois des champs d'oliviers, des vignobles ou un champ de blé… Les paysans n'hésitent pas à céder leurs biens à la vue des billets bleus… Ils sont tellement habitués au troc que l'argent leur paraît un luxe. Je ressortis de la chambre pour réchauffer le café. Mon beau-père feuilletait une revue qu'il enfouit promptement sous son oreiller à ma vue. Il me sourit et se lève : -Je vais descendre chez le voisin… Prends donc tes aises, ma fille. Da l'Hocine avait pris de l'âge. Son dos se voûtait et les cernes sous ses yeux renseignaient sur une longue et pénible existence. Il travaillait dans un bureau de poste. Illettré, il était chargé de véhiculer les sacs de courrier et de les vider dans les bacs de triage. Kamel me rejoint au salon. Cette pièce servait aussi de salle à manger et de chambre à coucher pour mes beaux-parents. Tout comme la pièce où je venais de passer ma première nuit, les murs étaient crasseux et humides. Des seaux et des bassines d'eau étaient disposés dans tous les coins pour recueillir l'eau de pluie qui pénétrait de partout. (À suivre) Y. H.